14/05/2025
Dans le cadre de la Chaire d’excellence “Mémoire et avenir de la Paix, droit histoire et neurosciences”, l’Institut international des droits de l’Homme et de la paix, avec le soutien de la Région Normandie et de l’Uni
L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.
par Lisa REVEILLARD
Etudiante en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie
Affaire : CJUE, 13 octobre 2022, L.F., C-344/20
La directive de l’Union Européenne 2000/78/CE (ci-après « directive) tend à imposer un cadre général de lutte contre les discriminations au travail, fondées notamment sur la religion ou sur les convictions. La directive couvre aussi bien la discrimination directe (différence de traitement fondée sur une caractéristique précise) que la discrimination indirecte (disposition, critère ou pratique apparemment neutre, mais susceptible de produire un effet défavorable pour des personnes particulières).
Par le passé, la CJUE a déjà été amenée à traiter de la question sensible du port du voile islamique en entreprise. Elle avait ainsi estimé dans ses arrêts de 2017 « G4S Secure Solutions » (points 30 et 32) et « Bougnaoui et ADDH » (point 35 et 36) que l’interdiction par un règlement intérieur du port de signe religieux au travail ne constituait pas, en soi, une discrimination directe. Néanmoins, face aux nombreuses questions d’interprétation de la directive restées en suspens, la CJUE a été saisie d’un nouveau renvoi préjudiciel.
En l’espèce, il est question d’un différend opposant L.F., citoyenne belge portant le voile islamique, à S.C.R.L., société privée. En 2018, cette dernière a rejeté la candidature à un stage de L.F., car celle-ci a indiqué qu’elle refuserait de retirer son voile pour se conformer à la politique de neutralité promue au sein de S.C.R.L. et inscrite dans son règlement intérieur. Considérant que S.C.R.L. a violé les dispositions de la loi générale anti-discrimination, L.F. saisit les premiers juges.
Trois questions préjudicielles ont été soulevées par le Tribunal du travail de Bruxelles. Tout d’abord, il interroge la Cour sur le point de savoir de savoir si les termes « religion ou convictions » figurant à l’article 1er de ladite directive doivent être interprétés comme les deux facettes d’un même critère, ou au contraire comme deux critères distincts. Deuxièmement, il demande à la Cour si une disposition interdisant le port d’un signe ou d’un vêtement connoté, telle que celle contenue dans le règlement de travail de S.C.R.L., constitue une discrimination directe fondée sur la religion au sens de la directive. Enfin, la dernière question vise à clarifier la marge d’appréciation dont disposent les États dans la transposition de la directive.
Sur la première question, la CJUE indique que les termes « religion ou convictions » doivent s’analyser comme les deux facettes « d’un même et unique motif de discrimination », recouvrant tant les convictions religieuses que philosophiques ou spirituelles. Pour parvenir à ce raisonnement, la Cour s’appuie notamment sur le TFUE et la CDFUE qui usent d’une terminologie équivalente, et sur la Cour Européenne des droits de l’Homme (ci-après « Cour EDH ») qui fait notamment de la liberté de religion « l’une des assises d’une société démocratique ».
Sur la deuxième question, la CJUE déroule un argumentaire en plusieurs étapes. En se fondant sur sa jurisprudence antérieure, la Cour estime d’abord qu’une disposition d’un règlement intérieur interdisant aux travailleurs de manifester de quelque manière que ce soit leurs convictions religieuses ne saurait constituer une discrimination directe, dès lors que cette disposition est appliquée « de manière générale et indifférenciée » (point 34). Autrement dit, elle ne doit pas viser de religion en particulier. Néanmoins, une telle disposition serait susceptible de constituer une discrimination indirecte s’il est établi « que l’obligation en apparence neutre qu’elle contient aboutit, en fait, à un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données » (point 37). Toutefois, la Cour poursuit qu’une telle différence de traitement ne serait pas constitutive d’une discrimination indirecte si elle est objectivement justifiée par un objectif légitime et si les moyens de réaliser cet objectif sont « appropriés et nécessaires » (point 38).
Dès lors, la marge d’appréciation laissée aux États dans la transposition de la directive communautaire ne saurait aller jusqu’à leur permettre de scinder le motif de discrimination susvisé. La Cour estime en effet qu’une approche segmentée de ce motif ne serait pas gage d’une protection plus favorable des justiciables, portant alors atteinte à l’effet utile de la directive.
Ces éclaircissements à l’esprit, il appartiendra au tribunal du travail de Bruxelles de les appliquer aux faits de l’espèce.
Face à la sensibilité croissante que suscite la question du port de signes religieux au travail dans la société européenne, plusieurs arrêts successifs ont permis à la CJUE de construire sa jurisprudence sur le sujet.
Dans sa décision de 2017 « G4S Secure Solutions » précitée, la Cour avait déjà estimé que la clause d’un règlement intérieur interdisant le port de signe religieux n’était pas en soi constitutive d’une discrimination directe fondée sur la religion. Elle avait en revanche considéré qu’elle constituait une discrimination indirecte, laquelle pouvait toutefois être justifiée par la volonté de l’employeur d’afficher une politique de neutralité à l’égard de la clientèle et du public. Dès lors, une telle clause ne saurait s’appliquer qu’aux salariés en contact avec ces derniers. Mais, dans son arrêt de 2021 « Wabe et MH Müller Handel », la Cour a admis un nouveau motif pouvant justifier une clause de neutralité : la volonté de prévenir les conflits sociaux au sein de l’entreprise (points 63 et 75). Cela signifie que, dorénavant, une telle clause peut valablement viser l’ensemble des travailleurs. La CJUE (comme la Cour EDH avant elle) reconnait en outre aux juridictions nationales une marge d’appréciation dans la conciliation des droits et intérêts en cause, et ce au nom du respect de leurs traditions nationales.
Il convient de rappeler que dans le cadre du renvoi préjudiciel, la Cour ne tranche pas le litige qui lui est soumis, mais fournit une décision de principe devant servir de référence aux États-membres. Aux vues des indications apportées, le Tribunal bruxellois devra opérer un contrôle de proportionnalité entre le but visé par l’interdiction et les moyens employés par l’entreprise pour l’atteindre. Il devra trancher plusieurs questions : L.F. a-t-elle subi une discrimination (directe ou indirecte) ? Dans le cas d’une discrimination indirecte, celle-ci était-elle justifiée par un objectif légitime de neutralité ? Les moyens de réaliser cet objectif étaient-ils appropriés et nécessaires ?
En définitive, il semble qu’en affinant son analyse, la CJUE fasse un pas de plus vers la liberté religieuse. En effet, il est intéressant de noter que la Cour observe que la poursuite, certes légitime, des objectifs de neutralité et de prévention des conflits sociaux ne suffit pas à fonder une différence de traitement indirectement fondée sur la religion (point 41). La CJUE affirme par ailleurs que rien ne s’oppose à ce que, lors de la mise en balance des intérêts en cause, la juridiction nationale accorde « une plus grande importance à ceux de la religion ou des convictions qu’à ceux résultant, notamment, de la liberté d’entreprendre », laquelle est pourtant reconnue à l’article 16 de la CDFUE (point 52).
Ainsi, la CJUE rend ici un arrêt équilibré, qui tente de concilier les intérêts du salarié avec ceux de l’entreprise.
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