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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.

Le juge n’ouvre pas la compétence universelle française

par Dorian PASQUET
Etudiant en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie

I. – Textes

Article 689-11 du code de procédure pénale.

II. – Contexte

Afin de ne pas laisser impunis les pires crimes, la communauté internationale a mis en place en 1998 la Cour Pénale Internationale qui présente toutefois des limites juridiques et politiques. Pour pallier ces manques, certains Etats ont fait le choix de s’attribuer une plus ou moins large compétence juridictionnelle extraterritoriale afin de pouvoir juger des crimes commis à l’étranger.
Cela reste cependant à distinguer de la compétence universelle définie par la doctrine à travers l’Institut de droit international comme « la compétence d’un Etat de poursuivre tout suspect et de le punir s’il est reconnu coupable, indépendamment du lieu de la commission des crimes et sans avoir égard à un lien de nationalité active ou passive » (résolution Cracovie, 2005).

Dans ce cadre, la France a décidé de juger un ressortissant syrien pour complicité de crimes contre l’humanité commis en Syrie entre mars 2011 et fin août 2013. Ne pouvant utiliser sa compétence personnelle active (article 113-6 du code pénal), ni passive (article 113-7 du code pénal), la France a mis en oeuvre ce qui s’apparente à première vue à une compétence universelle, prévue à l’article 689-11 du code de procédure pénale, mais qui ne concerne que les crimes de génocide, crimes contre l’humanité, et crimes de guerre.

Le requérant, M. [S], qui a été mis en examen pour ces faits, s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, en date du 18 février 2021. Dans cet arrêt, la chambre avait déclaré les juridictions françaises compétentes pour les faits en question, en constatant que les conditions posées par l’article 689-11 étaient réunies, à savoir la résidence habituelle en France de M. [S], l’absence de poursuite diligentée par une juridiction internationale compétente, ainsi et surtout que la double incrimination des faits dans l’Etat où ils ont été commis.

La première condition est déjà étonnamment exigeante quand on la compare aux conventions internationales qui se contentent de la simple présence de la personne sur le territoire.
La seconde condition a trait à respecter le principe pénal non bis in idem, qui veut qu’on ne juge pas une personne deux fois pour les mêmes faits. Sur cette même condition, le législateur se méprend sur le principe de complémentarité : ce n’est pas aux Etats de vérifier qu’aucune juridiction internationale ne poursuit déjà le mis en cause, mais c’est à ces mêmes juridictions de le vérifier. En effet, le juge national est le juge de droit commun des crimes internationaux.
La dernière condition vise à ce qu’on ne puisse pas poursuivre un individu pour des faits qui ne sont pas criminalisés dans son pays d’origine. Si cette condition est synonyme de sécurité juridique, on peut regretter sa présence qui n’était pas nécessaire pour des crimes internationaux aussi graves.

III. – Analyse

C’est cette dernière condition, la double incrimination des faits dans l’Etat où ils ont été commis, qui a été au centre des débats de la chambre criminelle.

Selon le demandeur au pourvoi, la chambre de l’instruction a commis une erreur de droit en considérant la condition de double incrimination remplie, alors même que les crimes contre l’humanité n’étaient pas expressément pénalisés par le droit syrien.

Pour ce faire, elle a estimé par analogie que si le code pénal syrien ne réprimait pas de façon autonome les crimes contre l’humanité, le fait qu’il vise les crimes qui le constituent équivalait à une telle répression.

Cette notion de crimes contre l’humanité est apparue à l’article 6-c du Statut du Tribunal de Nuremberg, et a ensuite été utilisée par les différents tribunaux pénaux internationaux.
La notion vise aujourd’hui le fait qu’un des crimes listés à l’article 7 du Statut de Rome soit commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile. La notion apparaît en droit français par la loi du 26 décembre 1964, pour aujourd’hui figurer à l’article 212-1 du code pénal.

M.[S] a également fait valoir qu’à l’époque des faits, il bénéficiait d’une immunité juridictionnelle pour les crimes commis dans l’exercice de ses fonctions.
Pour finir, le requérant a soutenu que la chambre a commis une autre erreur en ne vérifiant pas si l’obligation pour le ministère public de vérifier l’absence de poursuite par une juridiction internationale était remplie ou non.

Dans son arrêt du 24 novembre 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est focalisée sur la première branche des moyens du requérant. Elle va donner raison à ce dernier, en motivant qu’il importe peu que le droit syrien pénalise individuellement les différents crimes constitutifs de crimes contre l’humanité. En effet, le code pénal français requiert à l’article 212-1 qu’ils soient« commis en exécution d’un plan concerté ».
Ainsi, l’exigence de double incrimination posée par l’article 688-11 du code de procédure pénale requiert que la législation de l’Etat où ont été commis les crimes prenne en compte cet élément constitutif de concertation dans la commission des crimes contre l’humanité, ce qui n’est pas le cas de la législation syrienne.
La chambre criminelle casse donc l’arrêt de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris sans étudier les autres moyens. La condition de double incrimination, requise par l’article 688-11 du code de procédure pénale, et sur laquelle repose la poursuite, n’est pas remplie.
La France n’est, par conséquent, pas compétente pour juger M. [S] pour les crimes commis à l’étranger. Ce dernier ne sera donc pas jugeable pour les crimes dont il est accusé tant qu’il demeure en France.

IV. – Portée

La décision intervient deux ans après la modification de l’article 688-11 du code pénal qui ne voit, et c’est là tout l’enjeu, que très peu d’affaires le mobiliser. Cette modification, opérée par la loi du 23 mars 2019, était attendue par la doctrine qui espérait que le législateur déverrouille ce mécanisme de compétence extraterritoriale.
S’il n’était pas attendu de la France qu’elle ouvre une voie de compétence juridictionnelle réellement universelle, et ce afin d’éviter l’écueil belge (qui, en ayant prévu une compétence universelle très large et ne tenant pas compte des immunités diplomatiques, avait fini par abandonner sous la pression internationale), on pouvait espérer une voie de droit viable, afin de ne pas laisser impunis les crimes les plus graves.

Comme l’a écrit Delphine Brach-Thiel dans son commentaire de l’article 688-11, « La diplomatie a ses raisons que le droit ignore » (D. Brach-Thiel, « Et toujours pas de vraie compétence universelle en matière de crimes contre l’humanité », AJ Pénal 2019, p.195). Le législateur est resté très prudent en maintenant les conditions d’application de l’article très étroites, comme l’ont regretté le groupe de sénateurs qui avaient lutté contre : »ces trois conditions constituent autant de verrous qui rendent pratiquement impossible la mise en œuvre de cette disposition » (amendement déposé contre l’article 42 du projet de loi du 23 mars 2019).

Demeurait alors l’espoir de voir la jurisprudence interpréter largement les conditions posées par l’article, afin de faciliter son application. Il n’en a rien été, et la chambre criminelle a réprimé la tentative d’assouplissement opérée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, en cassant son arrêt. Cette dernière ne s’était pourtant pas prononcée sur les deux autres conditions posées par l’article, à savoir la résidence habituelle en France de la personne, ainsi que la diligence du ministère public s’assurant de la non poursuite des mêmes faits par une juridiction internationale compétente. L’interprétation large de l’article par la chambre d’instruction semblait donc raisonnable, mais déjà excessive selon la Cour de Cassation.

On peut regretter cette décision, en ce qu’elle ne tend pas à faire juger en France les auteurs des plus graves crimes internationaux, mais on la comprend car elle respecte la volonté du législateur. Ainsi, si la compétence extraterritoriale française doit s’élargir, ce sera par l’action du législateur et non du juge.

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