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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.

« Enregistrement et diffusion des audiences de la loi pour la confiance en l’institution judiciaire : refus de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour défaut de caractère sérieux »

par Héloïse SCHREINER
Etudiante en Master 2 Droit des libertés
à l’Université de Caen Normandie

Affaire : CE, 29 novembre 2022, Conseil national des Barreaux et autres, 464593

I. – Textes

II. – Contexte

« L’objectif est simple et clair : faire rentrer la justice dans le salon des Français », tel est le dessein du garde des sceaux Éric Dupont Moretti lors de la rédaction de la loi du 22 décembre 2021. Cette loi revient sur un principe ancien d’interdiction d’enregistrement des procès fixés par la loi n°54-1218 du 06 décembre 1954. En effet, en 1954, décision est prise de mettre fin aux dérives des journalistes pendant les audiences. Pour autant, la défiance du public vis-à-vis de la justice et le développement des nouvelles technologies entrainent un retour en arrière. Depuis 1985, l’article L. 221- du Code du patrimoine admet des exceptions pour les procès faisant l’objet d’un archivage historique (procès Barbie de 1987). La loi Perben II du 09 mars 2004 modifie l’article 308 du Code de Procédure Pénale. Elle y intègre un enregistrement possible en cour d’assises. Celui-ci pourra être utilisé en appel, en cas de révision ou de réexamen de l’affaire. Le rapport Linder de 2005, demandé par le Garde des sceaux, se montre favorable à une levée de l’interdiction sur autorisation. Enfin, la loi n°2014-640 du 20 juin 2014 instaure l’enregistrement pour tous les procès en assises.

Selon Claire Secail, historienne des médias et chercheuse au Centre Nationale de la Recherche Scientifique, il existe aujourd’hui un contexte de défaillance généralisé à l’égard des institutions. Avec le rapport Guinchard de 2008, le Gouvernement montre son « ambition raisonnée d’une justice apaisée ». Le mouvement de remise en cause de l’interdiction de 1954 semble acté.

Votée en procédure accélérée, la loi du 22 décembre 2021 remanie le régime d’enregistrement et de diffusion des audiences de la loi de 1881 sur la presse. Le nouvel article 38 quater de cette loi permet pour certains motifs d’intérêt général un enregistrement des audiences sur autorisation du chef de la juridiction, après avis du Garde des sceaux. Cet enregistrement se fera avec le consentement des parties uniquement en audience non publique ou en présence d’une personne vulnérable à l’audience. La diffusion des images et de l’identification des parties, se fera uniquement avec leur consentement, après jugement définitif. Celui-ci pourra être retiré dans un délai de 15 jours à compter de la fin de l’audience. L’identification des mineurs et majeurs protégés ne sera jamais possible. En outre, la loi permet l’enregistrement de certains actes d’enquêtes, par dérogation au principe du secret de l’enquête et de l’instruction.

C’est dans ce cadre que le Conseil national des barreaux et le Syndicat des avocats de France demandent au Conseil d’État de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité.

III. – Analyse

Les griefs soulevés sont nombreux. Les requérants relèvent que la loi du 22 décembre 2021 est imprécise en ce que les motifs d’enregistrement et de diffusion prévus sont trop larges. Ils déplorent également l’absence d’avis, voire d’accord, des magistrats et avocats pour cet enregistrement, que l’audience soit publique ou non. Les garanties prévues par le législateur sont lacunaires pour préserver la confidentialité des échanges entre un avocat et son client ainsi que pour protéger les témoins à l’audience. De plus, le délai de rétractation du consentement est insuffisant. La protection des mineurs et majeurs protégés est inadaptée à leur vulnérabilité. L’enregistrement des actes d’enquête et d’instruction manque de clarté, d’autant plus que c’est une dérogation au secret. Une telle médiatisation porterait atteinte à des principes constitutionnellement garantis : la présomption d’innocence (CC DC Sécurité liberté 1981), les droits de la défense (CC DC Loi sur la prévention des accidents de travail 1976), le droit au procès équitable (CC DC Loi relative au droit d’auteur 2006), la vie privée (CC DC Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité 1995) ou encore l’indépendance des juges (article 64 de la Constitution).

Cependant, pour le Conseil d’État, il n’existe pas de motif sérieux lui permettant de transmettre la question au Conseil Constitutionnel. Il estime les garanties prévues par le législateur suffisantes : existence d’un motif d’intérêt public, consentement des parties à l’enregistrement en audience non publique et pour des personnes vulnérables, diffusion après jugement définitif, identification sur les images après consentement et impossible pour les personnes vulnérables, possible retrait du consentement, arrêt de l’enregistrement par le magistrat chargé de la police de l’audience, sanction en cas de non respect des droits fondamentaux de la procédure pénale. Pour ce qui est de l’enregistrement et de la diffusion des actes d’enquête et d’instruction, les garanties sont suffisantes en ce qu’il est subordonné à l’accord des parties et réalisé sous le contrôle du juge d’instruction.

IV. – Portée

Par cet arrêt, le Conseil d’État confirme sa première prise de position sur la loi (CE avis 08 avril 2021). On peut d’ailleurs imaginer que le Conseil Constitutionnel aurait rejeté cette question car dans une décision n°2004-492 du 02 mars 2004 il estimait que la publicité des débats permettait que la justice soit bien rendue. De plus, dans une saisine a priori il a rendu un avis favorable sur la loi (CC DC n°2021-830, 17 décembre 2021, Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire). Le Conseil d’État ne vient en ce sens qu’éviter une saisine qui n’aboutirait pas devant le Conseil constitutionnel.

Force est de constater que le caractère non sérieux opposé aux arguments développés par les requérants demeure discutable. Certes, il existe des garanties mais elles semblent bien maigres face au risque de surmédiatisation de certains procès. Il est vrai que l’identification des parties ne se fera qu’avec leur consentement, mais dans des affaires à fort retentissement, leur identité sera vite notoire. Selon Aude Dorange, juriste en droit pénal et procédures, cette loi peut faire craindre « un voyeurisme judiciaire », motif de l’interdiction en 1954.

Pour ce qui est du secret de l’enquête et de l’instruction (CPP, art 11), la loi en permettant de filmer des actes d’enquête ou d’instruction empiète sur le secret. La jurisprudence interne n’est pourtant pas favorable à une telle évolution, elle y est même hostile. La Chambre criminelle estime que la présence d’un journaliste pendant une perquisition entache l’acte de nullité (Cass. Crim., 9 janv. 2019). Le Conseil constitutionnel va dans le même sens (CC QPC Association de la presse judiciaire 2018).

Se pose aussi la question de la conventionnalité de cette dérogation au secret de l’enquête et de l’instruction. La Cour européenne des droits de l’Homme estime que la liberté de la presse (CEDH, art. 10) ne prime pas toujours sur le secret, et doit être conciliée avec le droit à un procès équitable (CEDH, art. 6) et le droit à la vie privée (CEDH, art. 8) (CEDH, arrêt Bedat c. Suisse, 29 mars 2016, n°56925/08).Elle a aussi estimé que la condamnation d’un journaliste pour recel de violation du secret ne portait pas nécessairement atteinte à la liberté de la presse (CEDH, Sellami c. France, 17 décembre 2020, n°61470/15).

Il en découle que la conformité de l’enregistrement en phase d’enquête et d’instruction à la Constitution et à la jurisprudence récente n’est plus aussi certaine.

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