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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.

juge instruction

« Pas d’évolution pour les droits des tiers en matière de saisie pénale lors d’une information judiciaire »

par Marion DANGUY
Etudiante en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie

I. – Textes

II. – Contexte

Au cours d’une enquête policière ou d’une instruction, le Code de procédure pénale (CPP) permet de saisir, donc de placer sous main de justice tout bien, y compris s’il appartient à un tiers à la procédure. Se pose alors la question des droits du tiers concerné, notamment la faculté d’avoir communication des pièces du dossier afin de contester la saisie. En phase de jugement, la communication des procès-verbaux en lien avec la saisie est possible devant le tribunal correctionnel (article 479 al. 2 CPP) mais aussi devant la cour d’assises depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 (article 373 al. 3 CPP). En phase d’instruction, le tiers peut demander la restitution du bien saisi au juge d’instruction, mais, n’étant pas partie à la procédure, ne peut pas contester la régularité des actes de saisie durant cette phase, comme rappelé par la Cour de cassation (Crim. 2 juill. 1992, n°91-85.065). Il peut seulement contester les motifs du refus de restitution. Il se heurte toutefois à l’article 99 CPP alinéa 6 dans sa rédaction actuelle issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, selon lequel « il ne peut prétendre à la mise à sa disposition de la procédure ». Cette disposition rend difficile l’exercice du recours et soulève des questionnements du point de vue du droit au recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC). Le Conseil constitutionnel (Conseil) a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur ce sujet et a conclu que l’accès à la procédure n’est pas un droit absolu.

III. – Analyse

Initialement, la requérante demandait la restitution de biens saisis lors d’une information judiciaire pour chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants. La restitution lui a été refusée par le juge d’instruction. Elle a alors interjeté appel de l’ordonnance de refus. Suite à la confirmation de l’ordonnance, elle a présenté, à l’occasion de son pourvoi, une QPC jugée sérieuse (Crim. 27 juill. 2022, n°22-80.770). En se voyant opposer un refus, elle a soutenu ne pas pouvoir exercer correctement un recours juridictionnel effectif et a mis en cause l’article 99 al. 6 CPP. Ce texte méconnaitrait le droit à un procès équitable et le principe du contradictoire garantis par l’article 16 DDHC en ce qu’il n’autorise pas le tiers à une information judiciaire à avoir accès aux actes de procédure relatifs à la saisie de ses biens.  

Le Conseil décompose l’argumentaire de la requérante et le réfute. Il centre sa QPC sur le droit à un recours effectif et expose les droits prévus au profit des tiers par l’article discuté, notamment celui de contester la décision strictement motivée de refus de restitution et celui d’être entendu par la chambre de l’instruction. Ensuite, il recourt aux objectifs à valeur constitutionnelle (OVC) de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions pour faire primer le secret de l’enquête et de l’instruction (article 11 CPP) face à l’article 16 DDHC. Compte tenu des OVC, il estime que le législateur a correctement mis en balance les droits du tiers à l’information judiciaire et les droits au respect de la vie privée et à la présomption d’innocence (articles 2 et 9 DDHC) des parties. Enfin, il procède à une lecture interprétative de l’alinéa 6 en estimant que celui-ci n’a « ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que la chambre de l’instruction puisse […] communiquer au tiers appelant certaines pièces du dossier se rapportant à la saisie ». Le Conseil rappelle que le tiers peut parfois avoir accès aux pièces concernant la saisie de ses biens, soit par mise à disposition par la chambre de l’instruction, ce que l’article 99 n’interdit pas, soit en phase de jugement (articles 373 et 479 CPP). Le Conseil déclare l’article 99 al. 6 CPP conforme à l’article 16 DDHC.

IV. – Portée

Si de prime abord la décision du Conseil semble restrictive, ce dernier cherche seulement à renforcer les droits des parties. La QPC a été qualifiée de « progrès » pour l’État de droit par Jean-Louis DEBRÉ dans un discours du 4 décembre 2009. Par son biais, le Conseil démontre sa volonté de concilier les droits et libertés constitutionnels en jeu. Pour ce faire, il utilise souvent les OVC que nous retrouvons régulièrement dans sa jurisprudence depuis leur création en 1982 (Cons. const., décision 82-141 DC du 27 juill. 1982). Ce sont des objectifs d’intérêt général assignés au législateur dont celui-ci doit tenir compte lors de l’édiction de ses normes. Ils permettent au Conseil de justifier la limitation ou l’accroissement de la protection offerte par un droit ou une liberté constitutionnel. Il en a par exemple fait l’utilisation en 2011 afin de restreindre l’étendue des droits d’accès au dossier de l’avocat d’une personne gardée à vue (Cons. const., décision 2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011, cons. 29). La protection du secret de l’enquête et de l’instruction avait déjà été mobilisée en 2018 (Cons. const., décision 2017-693 QPC du 2 mars 2018, cons. 8). Plus récemment, en 2022, ce même secret de l’enquête a été invoqué pour refuser d’accorder au tiers journaliste la contestation des actes accomplis en violation du secret des sources journalistiques (Cons. const., décision n° 2022-1021 QPC du 28 octobre 2022, cons. 13). Ces décisions mettent en lumière deux points : l’importance du mécanisme de l’OVC dans la protection des droits et libertés et la place mineure du tiers face aux parties dans une procédure. Puisqu’il apparaît que l’étendue des droits d’accès à la procédure est malléable selon la qualité de la personne à l’origine de la demande et le moment de la procédure, le Conseil a pu aisément limiter par deux décisions du 28 octobre 2022, les possibilités d’intervention du tiers en recourant aux OVC de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions.

Grâce à la conciliation faite entre les droits du tiers et le principe du secret de l’enquête et de l’instruction, le Conseil entend rendre plus effectifs le droit à la vie privée et le principe de la présomption d’innocence. Cette solution se rapproche de la position de la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) qui entend aujourd’hui explicitement protéger le secret de l’enquête et de l’instruction (Cour EDH, 29 mars 2016, Bédat c. Suisse 56925/08, § 7.3) mais aussi sa finalité, la présomption d’innocence (article 6 § 2 CEDH) et la vie privée des parties. Ce dispositif est certes défavorable aux tiers, mais participe à protéger plus amplement les parties à une procédure.

Cependant, en énumérant les diverses possibilités pour le tiers d’obtenir une mise à sa disposition de la procédure, le Conseil rappelle qu’il dispose, malgré tout, d’un cadre juridique satisfaisant pour faire valoir ses droits. Il fait à nouveau preuve de logique en distinguant le suspect et la victime du tiers. Le Conseil est donc le gardien des libertés de tous, mais principalement des parties à une procédure, aux dépens du tiers, à juste titre.

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