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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et le Master Droit des libertés de l’UFR Droit de l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.

Décision Zambrano c. France : La situation sanitaire exceptionnelle ne justifie pas la mise à mal des conditions de recevabilité

par Eléa BILLY
Etudiante en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie

Affaire : Cour EDH, déc., 7 octobre 2021, Zambrano c. France, 41994/21

I.- Textes

II.- Contexte

À l’aube d’une conjoncture sanitaire sans précédent, l’Organisation mondiale de la santé confirma officiellement, le 11 mars 2020, l’existence d’une pandémie mondiale engendrée par le coronavirus SARS-CoV-2, mieux connu sous le nom de la covid-19. 

C’est dans ce contexte que les autorités françaises ont pris, depuis mars 2020, plusieurs dispositions dans le but de lutter contre les conséquences de la covid-19 sur la santé de la population française. Constatant une diminution constante des contaminations de la covid-19, la loi n°2021-689 du 31 mai 2021 a mis en place un régime transitoire de sortie de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 30 septembre 2021, conférant au Premier ministre certaines prérogatives permettant de limiter les déplacements et l’utilisation des transports collectifs, ainsi qu’imposer des mesures contraignantes dans les commerces et certains établissements accueillant du public. Par ailleurs, la loi n°2021-689 a permis la mise en place d’un dispositif de passe sanitaire.

La loi n°2021-1040 du 5 août 2021 est venue prolonger le régime transitoire prévu par la loi n°2021-689 jusqu’au 15 novembre 2021, et étendre le champ d’application du passe sanitaire à d’autres activités de loisirs ou de la vie quotidienne. Des sanctions sont encourues en cas de non-présentation du passe sanitaire par le public, d’utilisation frauduleuse ou de défaillance dans le contrôle réalisé par les commerçants ou professionnels. La loi n°2021-1040 a également mis en place un régime spécial à l’égard des personnes travaillant dans les secteurs sanitaire et médico-social, leur imposant la vaccination contre la covid-19. 

Opposant de la première heure au dispositif du passe sanitaire, le requérant a créé un site internet intitulé « nopass.fr » afin d’exprimer ses opinions et de mettre à disposition de ses visiteurs un document électronique pré-rempli permettant de saisir la Cour Européenne des droits de l’Homme (ci-après « Cour EDH »). Dans plusieurs vidéos postées sur le site Youtube, le requérant explique sa stratégie judiciaire consistant à « embouteiller, engorger, inonder » la Cour EDH par le biais d’un recours collectif.

III. Analyse

Introduisant sa requête devant la Cour EDH, M. Zambrano allègue d’une violation de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants (article 3 CEDH), du droit au respect de la vie privée (article 8 CEDH), de la garantie de ne pas subir de discrimination (article 14 CEDH), ainsi que de l’article 1er du Protocole n°12 relatif à l’interdiction générale de la discrimination. Le requérant affirme que les lois n°2021-689 et n°2021-1040 constituent une contrainte sur le consentement des individus quant à la vaccination, arguant que ces mesures représentent un risque grave d’atteinte à l’intégrité physique des individus sans justification médicale suffisante et qu’elles constituent, de ce fait, une ingérence discriminatoire dans le droit au respect de la vie privée.

Écartant l’article 1er du Protocole n°12 pour défaut de ratification par la France, La Cour s’attarde sur trois éléments importants dans son examen sur les conditions de recevabilité.

Rappelant le principe d’épuisement des voies de recours internes, la Cour constate dans un premier temps que le requérant n’a saisi aucune juridiction interne, aussi bien judiciaire qu’administrative. La Cour balaie l’argument selon lequel la déclaration de conformité des lois n°2021-689 et n°2021-1040 à la Constitution par le Conseil constitutionnel rend indisponible et inefficace les autres voies de recours. La Cour s’attache à rappeler que le recours pour excès de pouvoir, en ce qui concerne les décrets d’application de ces lois, et le pourvoi en cassation sont deux voies de recours internes dont le requérant doit user pour être conforme aux exigences de l’article 35 CEDH, et ceci malgré l’intervention du Conseil constitutionnel et une potentielle déclaration de conformité puisque celui-ci ne réalise pas de contrôle de conventionnalité.

Si ce simple constat permet à lui seul de justifier l’irrecevabilité du recours, la Cour EDH insiste sur deux autres points pour compléter sa décision, l’abus de droit de recours et la qualité de victime du requérant. Rappelant sa définition de la requête abusive (Cour EDH, 15 septembre 2009, Miroļubovs et autres c.Lettonie, n. 798/05, § 62), la Cour énonce que le « comportement abusif » du requérant, se traduisant par l’incitation à l’engorgement de la Cour par l’envoi de milliers de recours, est manifestement contraire à la vocation du droit au recours et nuit délibérément au bon fonctionnement de l’institution.

Enfin, au sujet de la qualité de victime, la Cour constate que le requérant n’a fourni aucune information personnelle. Au regard de l’article 3 CEDH, M. Zambrano, maître de conférences en droit privé, ne justifie aucunement d’exercer l’une des professions spécifiques soumises à l’obligation vaccinale et ne démontre pas l’existence d’une contrainte. Et en ce qui concerne l’article 8 CEDH, aucune indication ne permet d’expliquer en quoi les lois n°2021-689 et n°2021-1040 seraient susceptibles d’altérer le droit de M. Zambrano au respect de sa vie privée. Au vu de tous ces éléments, la Cour constate donc que le requérant dénonce de manière abstraite et générale, et non  de manière individuelle, les dispositions litigieuses, ce qui lui permet de qualifier sa requête d’actio popularis. Pour rappel, ce type de requête est expressément interdit par l’article 34 CEDH. De ce fait, la Cour n’estime pas nécessaire de trancher la question de la qualité de victime du requérant.

Au vu de tous ces éléments, la Cour prononce à l’unanimité, à l’égard du recours de M. Zambrano, une décision d’irrecevabilité.

IV. Portée

Dans la décision Zambrano c/ France, la Cour EDH poursuit sa jurisprudence constante en matière de recevabilité des requêtes individuelles. Reconnaissant l’originalité et le caractère exceptionnel de la situation sous-jacente du fait de la conjoncture sanitaire ; elle rappelle cependant, et avec fermeté, l’importance des conditions de recevabilité prévues à l’article 35 CEDH pour le bon fonctionnement de l’institution.

Elle s’attarde notamment sur le principe de non-épuisement des voies de recours internes et sur le caractère abusif de la requête. Concernant le premier principe, la décision s’inscrit dans la volonté constante de la Cour de rappeler que celui-ci est une réelle obligation pour les requérants, comme le montre l’arrêt Vučković et autres (Cour EDH, 25 mars 2014 Vučković et autres c. Serbie, n. 17153/11 et 29 autres) puisqu’il a pour but de préserver le principe de subsidiarité qui irrigue le droit européen des droits de l’Homme et la sauvegarde de la souveraineté des États membres. Notamment, la Cour s’attache à préciser que le contrôle de constitutionnalité n’exclut pas le contrôle du respect de la Convention par les juges ordinaires ; et que partant de cela, en s’appuyant sur son arrêt (Cour EDH, 15 novembre 2016 Dubská et Krejzová c. République Tchèque, n.28859/11 et 28473/12), la Cour réaffirme le principe de subsidiarité qui postule que lorsqu’un doute subsiste quant à la conformité d’une loi ou quant à l’efficacité d’un recours interne, seules les juridictions nationales sont, dans un premier temps, les « mieux placées » pour trancher la question.

Enfin, rappelant le contentieux de masse qu’elle connaît depuis plus de vingt ans, la Cour revient sur la stratégie judiciaire du requérant, qui consistait dans l’engorgement de la Cour, et retient à son encontre l’abus du droit de recours. Ce fait rare mérite d’être souligné et il justifie sans nul doute le souci des juges strasbourgeois d’y répondre alors que la condition du non-épuisement des voies de recours internes permettait déjà, à elle seule, de déclarer la requête de M. Zambrano irrecevable. Cette décision permet, en réalité, à la Cour de rappeler que les comportements abusifs nuisent, certes, au bon fonctionnement de l’institution, et notamment qu’ils mettent en péril la bonne exécution de sa mission que lui assigne l’article 19 de la CEDH ; mais que ceux-ci portent également atteinte, de ce fait, à la protection effective des droits et des libertés des individus relevant de la juridiction des États contractants (Cour EDH, 16 juillet 2019, Zhdanov et autres c. Russie, n.12200/08, 35949/11 et 58282/12).

Par conséquent, la Cour affirme, par cette décision, que le caractère exceptionnel de la situation sanitaire mondiale ne doit pas être un fait justifiant la mise à l’écart des conditions de recevabilité prévues par l’article 35 CEDH.

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