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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.
En raison des attentats terroristes de 2015, la loi n°2015-912 du 24 Juillet 2015 vient encadrer légalement les techniques de renseignement, jusque-là utilisées sans réglementation. Le Conseil constitutionnel valide majoritairement ces dispositions dans sa décision n°2015-713 DC du 23 juillet 2015, malgré des interrogations sur le respect de la vie privée et de la liberté d’expression.
Désormais, le renseignement peut être mis en place en dehors d’une procédure pénale pour trois motifs : lutte contre le terrorisme et les violences collectives, protection des intérêts majeurs de l’État, et lutte contre la criminalité organisée (Art. L.811-3 CSI). L’initiative revient aux ministres concernés, soumis à l’avis non contraignant de la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR) avant décision du Premier ministre (Art. L.821-4 CSI). La mesure est appliquée pour une durée déterminée par la loi, sans qu’en soient informées les personnes visées. Elles peuvent néanmoins saisir la CNCTR pour en vérifier la légalité (Art. L.833-4 CSI) et contester la mesure devant le Conseil d’État en formation spécialisée (Art. L.841-1 CSI). Il s’assurera de la légalité de la mesure (CE, formation spécialisée, 19 oct. 2016, n° 396958). En raison de leur caractère intrusif, un régime d’exception protège les journalistes, avocats, magistrats, parlementaires de la surveillance, sauf avis plénier de la CNCTR en cas de nécessité (Art. L.821-7 CSI).
Dans le but de protéger les droits fondamentaux contre les abus, la Cour européenne s’est penchée sur la conventionnalité des recours de la loi de 2015 dans le présent arrêt du 10 décembre 2024.
Le bâtonnier du barreau de Paris, le président du Conseil de l’Ordre et des journalistes contestent la loi devant la Cour sans saisir les juridictions internes au préalable. Deux journalistes du Monde saisissent la CNCTR pour vérifier s’ils ont fait l’objet d’une surveillance et celle-ci valide la régularité de la procédure. Saisi, le Conseil d’État (CE, 19 sept. 2016, n° 396958) rappelle son pouvoir d’annulation et de destruction des données collectées, tout en précisant qu’il ne peut révéler les techniques employées. En l’espèce, il estime qu’aucune intervention n’est nécessaire.
Les requérants contestent la loi de 2015 en invoquant une violation du droit à la vie privée (art. 8 Conv. EDH), de la liberté d’expression (art. 10 Conv. EDH), du droit à un recours effectif (art. 13 Conv. EDH) et à un procès équitable (art. 6 Conv. EDH). Ils dénoncent, sur les articles 8 et 13 combinés, l’absence de clarté dans le tri des informations professionnelles et estiment que les dispositifs de surveillance excèdent la stricte nécessité démocratique. Enfin, ils pointent, sur la base des articles 8, 10 et 13, une insuffisance des garanties procédurales.
La Cour déclare la requête irrecevable estimant que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes (art. 35 §1 Conv. EDH). Suivant la position du gouvernement, elle souligne qu’ils n’ont ni saisi la CNCTR ni invoqué la Convention EDH devant le Conseil d’État. Elle rappelle ainsi le caractère subsidiaire de sa compétence inscrit dans le préambule de la Convention (Cour EDH, GC, 25 mars 2014, Vuckovic et autres c. Serbie, n°17153/11, §95).
Malgré le constat d’irrecevabilité, la Cour examine les articles L.833-4 et L.841-1 CSI. Elle estime nécessaire de vérifier si les requérants, professionnels protégés, disposent d’un recours effectif « à la lumière des principes jurisprudentiels dans le domaine des mesures de surveillance » (§ 102).
La Cour valide la conformité du dispositif en reconnaissant l’indépendance de la CNCTR (§ 111), son accès permanent aux informations et sa faculté de saisir le Conseil d’État (§§ 112-113). Elle souligne que sa saisine est une étape préalable au recours juridictionnel (§ 114). Les juges européens approuvent le régime dérogatoire du Conseil d’État, conciliant procès équitable et secret défense grâce à des garanties : annulation des autorisations illégales, destruction des données et indemnisation (§§ 117-120). Ils retiennent la déclaration de constitutionnalité confirmant l’équilibre entre le droit à un procès équitable. Enfin, la Cour juge le recours juridictionnel de l’article L.841-1 CSI, précédé de l’intervention de la CNCTR, effectif et suffisamment protecteur (§ 121).
Face à la montée de la menace terroriste, la Cour européenne a affirmé qu’une législation encadrant les mesures de surveillance ne violait pas la Convention EDH. La poursuite d’un objectif légitime et strictement proportionné, notamment la protection des institutions démocratiques et de la sécurité nationale en est la condition (Cour EDH, 6 sept. 1978, Klass et autres c. Allemagne, n°5029/71, § 60).
La validation du régime français par la Cour intervient après une confirmation des juridictions françaises, qui avaient examiné l’effectivité des recours. En amont, le Conseil d’État avait jugé que ce régime dérogatoire respectait la Convention en permettant à la CNCTR et au Conseil d’accéder à l’ensemble des données pour vérifier d’éventuelles irrégularités, assurant un contrôle effectif. L’absence d’information des personnes concernées sur les techniques ne constitue pas, selon lui, une violation du droit à un procès équitable ni du droit à un recours effectif (CE, 8 fév. 2017, n°396550 et n°396567). En 2024, le Conseil d’État réitère cette position : l’absence de notification des mesures de surveillance ne méconnaît pas la Convention dès lors que le secret de ces opérations sert l’intérêt de la Nation (CE, 22 mars 2024, n° 476054). Il précise que le cadre renforcé des professions protégées n’exclut pas l’application des techniques de renseignement à leur égard (CE 22 mars 2024, n° 474404).
Cette décision interpelle par l’intérêt que porte la Cour aux techniques de renseignement. Bien qu’elle rejette les requêtes en raison du non-épuisement des voies de recours internes, elle évalue la procédure précontentieuse et contentieuse française, tout en réaffirmant le principe de subsidiarité (§ 95). Il semblerait que la Cour juge indispensable d’évoquer le fond de l’affaire, semblant vouloir faire de cette décision, son modèle pour les affaires à venir. Elle y concentre d’ailleurs les conditions qu’elle impose afin que la législation d’un État soit conforme aux attentes européennes.
Cette décision suit la jurisprudence interne validant la procédure litigieuse. La Cour EDH avait déjà eu l’occasion de statuer sur des affaires relatives aux techniques de renseignement, et reconnaît, depuis peu, leur compatibilité avec la Convention, sous réserve de garanties adéquates : un contrôle juridictionnel effectif, l’indépendance des organes de surveillance et la possibilité de recours (CEDH, GC, 25 mai 2021, Centrum för Rättvisa c. Suède, n°35252/08).
Gardienne des droits fondamentaux, la Cour ne peut ignorer les enjeux de sécurité nationale et doit arbitrer entre protection des libertés et impératifs de maintien de l’ordre public. Dans ce contexte, elle adopte une approche pragmatique en affirmant sa confiance envers les autorités nationales et leurs juges pour contrôler ces techniques, tout en rappelant le principe de subsidiarité. Elle insiste néanmoins sur la nécessité de garanties effectives pour encadrer les mesures de surveillance.
En validant la législation française, cette décision confirme la position de la Cour de Strasbourg : un équilibre entre respect des droits fondamentaux et exigences de sécurité nationale, dans un cadre de contrôle juridictionnel rigoureux.
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