03/12/2024
L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs. Affaire : Conseil constitutionnel, n° 2024-1113 QPC du 22 novemb
L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.
Affaire : Conseil d’État, 8 novembre 2024, 487687, publié aux tables du Recueil Lebon
La Loi du 17 juillet 1978 , désormais codifiée aux articles L311-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) a permis aux administrés de demander la communication de certains documents à l’Administration.
Ce droit d’accès aux documents administratifs a été rattaché par le Conseil constitutionnel à l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui permet aux citoyens de demander des comptes à l’Administration (Déc. n° 2020-834 QPC, 3 avril 2020, consid. 8). Cet article répond à une nécessité de transparence administrative. Par ce rattachement, le droit d’accès a donc acquis une valeur constitutionnelle.
Cependant, pour l’exercer, l’administré doit s’assurer que le document demandé répond à la définition de « document administratif » posée par l’article L300-2 du CRPA. Il s’agit en effet des documents produits ou reçus par une autorité publique dans le cadre de sa mission de service public.
L’arrêt du Conseil d’État du 8 novembre 2024 (ci-après « l’arrêt d’espèce ») répond à la question de savoir si les actes d’état civil et les documents qui leurs sont indissociables sont des documents administratifs communicables.
Dans l’arrêt d’espèce, un père a demandé au consul de France à Bamako de lui communiquer le dossier administratif relatif à la transcription des actes de naissance de ses enfants dans les registres consulaires de l’état civil français. Il a obtenu une décision implicite de rejet.
L’article R811-1 alinéa 2, 2° du code de justice administrative (CJA) dispose que le tribunal administratif (TA) est juge, en premier et dernier ressort, des litiges relatifs à la communication des documents administratifs. Le seul recours ouvert contre les jugements en la matière est donc la cassation devant le Conseil d’État.
Selon l’article R312-1 du CJA, le TA compétent est celui dans le ressort duquel l’autorité qui a pris la décision contestée est établie. Si une juridiction non compétente est saisie, elle peut transmettre le dossier à celle qu’elle estime compétente (CJA, art. R351-3). Dans l’affaire, la décision contestée est celle d’un consul, autorité rattachée au ministère des Affaires étrangères situé à Paris. Le TA compétent était donc celui de Paris. C’est pourquoi le TA de Nantes, saisi à l’origine par le requérant, a pu transmettre la demande au TA de Paris en se fondant sur l’article R351-3 du CJA.
Le TA de Paris rejette la demande du requérant le 29 mars 2023. Il considère que les documents demandés ne sont pas détachables des actes d’état civil qu’ils permettent d’établir. De ce fait, il affirme qu’ils ne répondent pas à la définition de documents administratifs au sens de l’article L300-2 du CRPA.
Le demandeur au pourvoi allègue que le TA aurait dû user de ses pouvoirs d’instruction pour faire produire les documents demandés devant lui afin d’examiner leur caractère communicable.
Le Conseil d’État tranche le litige le 8 novembre 2024 en faveur du TA de Paris. Il s’est appuyé sur la définition de l’article L300-2 du CRPA pour en déduire que les actes d’état civil n’étaient pas des documents administratifs et a fortiori, n’étaient pas communicables. Il a par ailleurs ajouté que les documents qui permettent d’établir les actes d’état civil ou qui sont nécessaires à l’accomplissement des missions des officiers d’état civil devaient également être exclus de cette catégorie.
L’arrêt d’espèce permet de distinguer les actes d’état civil et les documents associés des documents administratifs communicables.
Le droit à la communication répond à une exigence de transparence. Cela signifie qu’un administré peut demander à l’Administration que celle-ci lui rende compte de son organisation et de ses activités. Or, les actes d’état civil, régis par les articles 34 et suivants du code civil, sont des actes authentiques qui permettent de certifier juridiquement l’identité et les événements de la vie des personnes. Leur finalité n’est donc pas de satisfaire à une quelconque exigence de transparence, ni de permettre aux administrés de demander des comptes à l’Administration mais de garantir la fiabilité des informations relatives à l’état civil. Ainsi, l’exclusion des actes d’état civil de la catégorie des documents administratifs communicables ne porte pas atteinte au droit à la communication des administrés.
Par ailleurs, les actes d’état civil contiennent plusieurs mentions tels que le nom et les prénoms de l’officier de l’état civil et de la personne concernée par l’acte (code civil, art. 34). Ils sont ainsi des documents nominatifs par excellence. Or, la Cour administrative d’appel de Nantes a limité dès 1999 la communication des documents administratifs nominatifs aux personnes que ces documents concernent (CAA Nantes, 3e ch., 7 oct 1999, 96NT01287). La solution de l’arrêt d’espèce s’inscrit donc dans une jurisprudence protectrice de la vie privée d’une part, mais également de l’indisponibilité de l’état civil ; principe qui empêche les particuliers de modifier librement ou de renoncer à leur état civil. En effet, en affirmant que les actes d’état civil ne sont pas des documents administratifs communicables, le Conseil d’État préserve l’authenticité des mentions que ces actes contiennent et s’assure que le régime restrictif auquel ils sont soumis est respecté.
Il peut être ajouté que, même pris en leur qualité d’archives, les actes d’état civil ne relèvent pas de la catégorie des documents administratifs communicables. En effet, dans l’arrêt Bertin rendu le 9 février 1983 (CE, 9 fév. 1983, 35292, p.53 Rec. Lebon), le Conseil d’État a précisé que les actes d’état civil, même datés de plus de cent ans, n’étaient pas des documents administratifs au sens de la Loi de 1978, c’est-à -dire au sens de documents administratifs communicables. Les archives d’actes d’état civil sont en en effet régies par l’article L213-2 du code du patrimoine qui déroge au régime général prévu par le CRPA (voir le renvoi fait par l’article L213-1 du code du patrimoine).
Si l’on comprend pourquoi les actes d’état civil sont exclus du régime de communication des documents administratifs, il est moins évident de comprendre l’extension de cette exclusion aux documents nécessaires à l’établissement de ces actes ou à l’accomplissement des missions de l’officier d’état civil.
Le Conseil justifie cette position en soulignant que ces documents ne peuvent être dissociés des actes d’état civil eux-mêmes. Il s’agirait ainsi de « documents accessoires » devant suivre la qualification juridique attribuée aux actes d’état civil. Toutefois, aucun type précis de document n’est clairement identifié : on ne peut donc pas savoir si tous ces documents relèvent d’une procédure spéciale d’accès. Or, si un tel document ne relève ni du régime de la communication des documents administratifs, ni du régime spécial de communication des actes d’état civil, cela peut aboutir à créer une catégorie de documents inaccessibles au public.
Cependant, les documents permettant d’établir un acte d’état civil, tel que le livret de famille par exemple, sont majoritairement des actes privés. Par nature, ces documents n’ont donc pas vocation à être accessibles au public, ce qui relativise l’impact de cette limitation sur le droit d’accès aux documents administratifs.
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