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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.
par Zoé PREEL
Etudiante en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie
Affaires : Cass. Crim. 15 novembre 2022, 21-87.295
Nombreux sont les actes d’enquête attentatoires à la vie privée, protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après Convention EDH), tel est le cas des perquisitions. Le second alinéa de ce texte autorise des ingérences de l’État dans le droit au respect de la vie privée, dès lors qu’elles sont prévues par la loi et poursuivent un but légitime auquel elles sont proportionnées. Dans le cadre des actes d’enquête, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci-après CEDH), exige que les atteintes à la vie privée relatives à une perquisition soient contrôlées effectivement par un juge (CEDH 21 janvier 2010, Xavier da Silveira contre France, n°43757/05). En application du droit européen, le code de procédure pénale vient encadrer strictement le régime des perquisitions.
L’article 59 du code de procédure pénale interdit de réaliser des perquisitions avant 6 heures et après 21 heures. Cependant, une catégorie spéciale fait exception à la règle : il s’agit de la criminalité organisée, qui est soumise à régime procédural particulier et dérogatoire au droit commun. Cette sévérité n’est pas dépourvue de garanties, précisées dans les articles 706-91 et 706-92 du code de procédure pénale. Il résulte de ces textes que l’autorisation de mener une perquisition domiciliaire nocturne doit être préalablement autorisée par ordonnance écrite d’un juge d’instruction motivée en fait et en droit. A cette condition de forme s’ajoute une condition de fond, à savoir l’urgence de l’accomplissement de l’acte, qui explique qu’il ne peut être réalisé durant les heures légales. Faute de contrôle effectif du magistrat, l’acte cause nécessairement un grief à la personne concernée (Crim., 8 juillet 2015, n° 15-81.731). C’est d’ailleurs à l’appui de cette jurisprudence que l’article 706-92 du code de procédure pénale a été réécrit par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Ainsi, compte tenu de la condition d’urgence, il convient de savoir si l’autorisation de perquisition domiciliaire nocturne peut être délivrée par anticipation, deux mois avant sa réalisation, ce à quoi la Cour de cassation va répondre par l’affirmative.
En l’espèce, M. B. E. a été mis en examen le 12 mars 2021 pour infractions en matière de stupéfiants. Le 13 septembre 2021, le juge d’instruction a pris une ordonnance autorisant une perquisition nocturne, qui fut réalisée le 13 décembre 2021, soit deux mois plus tard. Le juge d’instruction a ensuite notifié l’avis de fin d’information aux parties. Le mis en examen a saisi la chambre de l’instruction d’une requête en annulation d’actes de la procédure, notamment la perquisition nocturne.
La chambre de l’instruction a estimé que l’autorisation de perquisition délivrée par le juge d’instruction, prévue par l’article 706-91 du code de procédure pénale, était régulière. L’arrêt attaqué fait valoir que l’ordonnance en cause était motivée de manière circonstanciée afin de répondre aux futures interpellations et au risque de dépérissement de preuves. De plus, la chambre de l’instruction relevait que le texte précité n’interdisait pas de donner une telle autorisation en amont des interpellations, et que l’urgence était à apprécier au moment qui serait opportun à la manifestation de la vérité, et soulignait la fuite de l’intéressé.
Suite au rejet de la requête par la chambre de l’instruction, le mis en examen a formé un pourvoi auprès de la Cour de cassation. Le moyen se compose de deux branches. La première branche soutient que la condition d’urgence ne peut être satisfaite en présence d’une autorisation donnée deux mois avant la perquisition. La seconde branche fait valoir que les recherches infructueuses et la fuite de l’intéressé ne sont pas des motifs propres à justifier la condition d’urgence.
La chambre criminelle casse et annule l’arrêt. Au visa de l’article 8 de la Conv EDH, elle rappelle qu’une perquisition domiciliaire nocturne doit être soumise au contrôle réel et effectif du juge, ce qui suppose une ordonnance écrite et motivée par l’urgence. Toutefois, la Cour de cassation admet que l’ordonnance soit délivrée par anticipation, sous réserve que le juge d’instruction s’assure de “la persistance de cette urgence, au regard des éléments de fait et de droit énoncés dans ladite ordonnance”, avant que la perquisition ne soit réalisée. Il en découle une obligation à l’égard des enquêteurs, à savoir recueillir l’avis préalable, même oral, du juge d’instruction, et de justifier l’accomplissement de cette formalité en procédure.
La motivation en fait et en droit montre l’influence de la jurisprudence de la CEDH, qui protège le droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention EDH. La Cour européenne a posé le principe que l’intéressé soit protégé par un contrôle judiciaire effectif, en fait et en droit (CEDH 2 octobre 2014, Delta Perkarny contre République Tchèque, n° 97/11). La Cour de cassation reprend cette condition pour apprécier l’urgence inhérente aux perquisitions à venir, lorsque la réalisation de l’acte sera opportune à la manifestation de la vérité.
Du côté du droit interne, on aurait pu penser à un revirement de jurisprudence de la part de la Cour de cassation. Dans l’arrêt commenté, la Cour admet que l’accord verbal d’un magistrat suffise à rendre le contrôle suffisamment effectif. Cela peut sembler, à première lecture, entrer en opposition avec sa jurisprudence récente : en effet, la chambre criminelle a récemment qualifié de nulle, “l’autorisation verbale donnée par un magistrat, même suivie, après la réalisation de l’acte, de la formalisation d’une ordonnance écrite et motivée” (Crim., 13 septembre 2022, n° 21-87.452). Néanmoins, il faut tenir compte de l’ordonnancement des faits pour expliquer qu’il n’y a pas de changement de position de la Cour de cassation. Dans l’affaire précitée, l’autorisation verbale précédait l’autorisation écrite, une situation qui diffère de l’arrêt du 15 novembre 2022, dans laquelle une ordonnance écrite et motivée avait été prise par anticipation.
À l’avenir, on peut penser que la pratique pourrait conduire les juges d’instruction à prendre automatiquement une ordonnance d’autorisation anticipée afin de permettre une intervention des officiers de police judiciaire plus rapidement. En effet, la Cour de cassation, dans cet arrêt, les y autorise. Toutefois, elle veille à maintenir l’effectivité du contrôle judiciaire en posant une condition à la validité de la perquisition : “Il appartient aux enquêteurs de recueillir l’avis préalable, serait-il même oral, du juge d’instruction, et de justifier de l’accomplissement de cette formalité en procédure.” Ainsi, avant de procéder à la perquisition, les enquêteurs ont donc l’obligation de recueillir l’avis du juge, qui est alors amené à apprécier la réalisation de la perquisition. L’effectivité du contrôle sera garantie, puisque si le juge estime que l’urgence ne répond plus aux motifs de fait et de droit énoncés dans l’ordonnance, il refusera l’accomplissement de l’acte, en tant que gardien des libertés individuelles.
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