23/12/2024
L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.
L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.
Constitution du 4 octobre 1958
Constitution du 27 octobre 1946
Article L2123-34 du Code général des collectivités territoriales (CGCT)
Article L134-4 du Code général de la fonction publique (CGFP)
En 2020, le maire d’Istres, visé par une enquête préliminaire du Parquet national financier, obtient la protection fonctionnelle de la commune pour couvrir ses frais d’avocat. Un conseiller municipal conteste cette décision devant le Tribunal administratif de Marseille, qui annule la délibération en affirmant que l’article L. 2123-34 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) n’autorise cette protection qu’en cas de poursuites pénales. La Cour administrative d’appel de Marseille confirme ce jugement en octobre 2023 (CAA Marseille, 17 oct. 2023, 22MA02463). La commune d’Istres forme un pourvoi devant le Conseil d’État et soulève une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), invoquant un PFRLR et une atteinte au principe d’égalité -protégé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789- que le Conseil d’État transmet au Conseil constitutionnel pour examen.
La requérante soutient d’abord qu’un principe fondamental reconnu par les lois de la République oblige les collectivités territoriales à protéger leurs agents publics lorsqu’ils sont poursuivis, dès lors que la faute reprochée est liée à l’exercice de leurs fonctions. Elle affirme que refuser d’étendre cette protection aux actes antérieurs aux poursuites pénales pour les élus municipaux violerait ce principe, en se basant sur les articles 14 et 15 de la loi du 19 octobre 1946 sur le statut général des fonctionnaires.
Ensuite, la commune invoque une atteinte au principe d’égalité devant la loi, en soulignant que la protection fonctionnelle des agents publics, prévue par l’article L. 134-4 du Code général de la fonction publique (CGFP), s’applique aux témoins assistés, aux gardes à vue et aux propositions de composition pénale. En revanche, celle des élus municipaux, régie par l’article L. 2123-34 CGCT, ne couvre que les poursuites pénales, excluant ainsi l’enquête préliminaire.
Le Conseil constitutionnel décide que l’article L. 2123-34 CGCT est conforme à la Constitution.
Premièrement, il rappelle que l’administration est tenue de prendre en charge les condamnations civiles d’un fonctionnaire pour une faute de service, mais il ne reconnaît pas dans les articles 14 et 15 de la loi de 1946 un principe fondamental reconnu par les loi de la République (PFRLR) qui étendrait la protection fonctionnelle à tous les agents publics, et par extension aux élus locaux. Il rejette donc l’argument de la commune fondé sur une prétendue violation de ce principe (consid. 6).
Deuxièmement, le Conseil constitutionnel considère qu’il n’y a pas de violation du principe d’égalité devant la loi. Il admet une différence de traitement entre les élus municipaux et les agents publics en matière de protection fonctionnelle, mais celle-ci est justifiée par la différence de nature de leurs fonctions. Le principe d’égalité s’applique à des personnes se trouvant dans des situations similaires, ce qui n’est pas le cas ici. Le législateur n’était donc pas obligé d’appliquer les mêmes règles aux élus qu’aux agents publics, bien qu’il puisse le faire à l’avenir (consid. 14). Ainsi, le Conseil constitutionnel écarte également l’argument fondé sur la violation du principe d’égalité devant la loi.
Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel a appliqué sa jurisprudence habituelle en matière d’égalité, notamment en se référant à la décision 96-380 DC du 23 juillet 1996, Loi relative à l’entreprise nationale France télécom, qui précise que des situations différentes n’ont pas à être traitées de manière identique (rappelé dans le consid. 8). Le Conseil constitutionnel a ainsi décidé que les élus municipaux et les agents publics ne sont pas dans des situations comparables, en raison, entre autres, de la différence dans la nature de leurs fonctions.
Ce raisonnement a également été repris dans la décision n°2024-1107 QPC du 11 octobre 2024. Dans ce cas, un conseiller régional contestait une rupture d’égalité entre la protection fonctionnelle accordée au président du conseil régional et assimilés, et celle des autres conseillers. Le Conseil a rejeté l’argument en décidant qu’il n’y avait pas de violation du principe d’égalité, en raison de la différence de nature dans les fonctions exercées.
En revanche, dans la décision n°2024-1098 QPC du 4 juillet 2024, le Conseil constitutionnel a reconnu une rupture d’égalité concernant la protection fonctionnelle des agents publics en audition libre. Il a estimé incohérent que la loi accorde cette protection aux agents en garde à vue ou aux témoins assistés, mais pas à ceux en audition libre, alors que cette dernière mesure est moins attentatoire quant à la présomption d’innocence.
Dans la décision n°2024-1106 QPC du 11 octobre 2024, le Conseil a appliqué de manière cohérente les principes précédents, soulignant la différence de situation entre agents publics et élus municipaux. Après avoir examiné les travaux préparatoires des lois en question, il a noté que le législateur avait intentionnellement prévu des régimes distincts pour la protection fonctionnelle : l’article L. 134-4 CGFP pour les agents publics mis en cause pénalement et l’article L. 2123-34 CGCT pour les élus municipaux uniquement en cas de poursuites pénales.
Cependant, le Conseil constitutionnel a refusé de reconnaître comme PFRLR, l’obligation pour les communes d’accorder une protection à leurs agents lorsqu’ils font l’objet de poursuites, à condition que la faute ne soit pas détachable de l’exercice de leurs fonctions.
Les PFRLR sont mentionnés dans le Préambule de la Constitution de 1946, mais leur nomenclature découle de la jurisprudence, notamment à partir de la décision CC, n° 71-44 DC, 16 juillet 1971, Liberté d’association, et précisée dans la décision CC, n° 88-244 DC, 20 juillet 1988, Loi portant amnistie.
En l’espèce, le Conseil constitutionnel constate tout d’abord que la loi invoquée par la requérante pour faire valoir un PFRLR n’est pas applicable à la procédure en cours (consid. 5). En effet, cette loi concerne, d’une part, les fonctionnaires et, d’autre part, les actions au civil. Néanmoins, le Conseil se prononce tout de même sur les critères de reconnaissance d’un PFRLR concernant la protection fonctionnelle des agents de la fonction publique.
Pour qu’un principe puisse être considéré comme principe fondamental par les lois de la République (PFRLR), le Conseil constitutionnel examine habituellement cinq critères cumulatifs : le principe doit être fondé sur un texte législatif antérieur à la Constitution du 27 octobre 1946, adopté sous un régime républicain, d’application continue, être présenté comme un principe général et non contingent, et avoir une importance suffisante (doit intéresser les droits et libertés, la souveraineté nationale ou l’organisation des pouvoirs publics : CC, n° 2013-669 DC, 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Ainsi, le Conseil constitutionnel clôt son raisonnement en ne reconnaissant pas le droit à la protection fonctionnelle des fonctionnaires en matière civile la valeur d’un principe, et par voie de conséquence celle de PFRLR. Cette position est critiquable, compte tenu de l’importance de la protection fonctionnelle dans la fonction publique, quand bien même le refus d’extension de cette protection aux élus municipaux -au regard de la différence de nature des fonctions- semble justifié. D’autant plus qu’il est un droit et concerne l’organisation des pouvoirs publics.
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