30/07/2025
Une quinzaine d’étudiants internationaux s’est réuni à Caen du 30 juin au 4 juillet pour participer à la 23e édition de l’Université de la paix sur le thème « Paix durable à l’épreuve de l’économie ».
par Kilian TIXADOR
Etudiant en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie
Affaire : Cour EDH, GC, 16 février 2021, Hanan c. Allemagne, 4871/16
Dans un contexte où la France peine à attirer les États européens au sein de sa Task Force Takuba au Sahel, cet arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « Cour EDH ») relatif à l’extraterritorialité de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après « Convention EDH ») dans le cadre des conflits armés risque de rebuter les derniers États européens encore volontaires.
La présente affaire trouve son origine dans une frappe aérienne effectuée le 4 septembre 2009 en Afghanistan par des avions américains sur ordre allemand, et ce dans le cadre de la Force internationale d’assistance et de sécurité (ci-après « FIAS »), créée par le Conseil de sécurité des Nations Unies par sa résolution 1386 (2001) du 20 décembre 2001. Cette frappe a occasionné de nombreuses victimes – le bilan, incertain, estime leur nombre entre 14 et 142 – dont des civils.
Dans les jours suivant la frappe aérienne, une enquête est ouverte par les autorités allemandes afin de déterminer les éventuelles poursuites à engager contre les militaires allemands ayant ordonné cette frappe, et plus particulièrement contre le colonel K., commandant les troupes de la région. Cette enquête est clôturée en avril 2010 par le procureur général allemand, considérant qu’il n’existait pas de motifs suffisants justifiant que la responsabilité pénale des mis en cause soit engagée.
Le requérant, ressortissant afghan, père de deux victimes âgées de 8 et 12 ans, considère que ce litige relevait de la juridiction de l’Allemagne et que, dès lors, la Convention EDH avait vocation à s’appliquer, conformément à son article 1. Il soutient également que l’enquête est entachée de manquements conduisant à son ineffectivité. De ce fait, il allègue une violation de l’article 2 de la Convention EDH garantissant le droit à la vie dans son volet procédural. Il est à souligner que le volet matériel de l’article 2 n’est pas invoqué par le requérant. Rappelons que l’article 2 encadre la possibilité pour les États parties de recourir à la force (volet matériel), mais également qu’en cas d’usage de force létale, l’état se doit d’enquêter sur la légitimité de cet usage (volet procédural). En d’autres termes, le requérant ne contestait non pas l’usage de la force ayant mené au décès de ses fils, mais le caractère effectif de l’enquête découlant de la frappe aérienne.
i – de la recevabilité de la requête
La compétence de la Cour EDH en l’espèce ne va pas de soi : les faits se sont produits en Afghanistan, du fait d’avions américains mais sur ordre allemand, et ce dans le cadre d’une coalition décidée par le Conseil de sécurité des Nations unies. De plus, la Cour EDH a déjà jugé, dans la fameuse décision Banković (affaire Banković et autres c. Belgique, n°52207/99, 12 décembre 2001), qu’une requête découlant de décès engendrés par une frappe aérienne d’un État partie sur le territoire d’un État non-partie à la Convention EDH était irrecevable. Elle considère en effet qu’une frappe aérienne est un acte instantané qui ne suffit pas à caractériser un contrôle effectif (et donc un lien juridictionnel) de l’État sur la cible. Dans l’affaire qui nous concerne, la différence majeure consiste en ce que l’Allemagne ne se contente pas d’opérations aériennes, mais dispose également de troupes au sol, susceptibles d’exercer ce contrôle effectif. De plus, la Cour avait précisé à l’occasion de Banković que des justifications spéciales pouvaient mener à l’établissement d’un lien juridictionnel conduisant à appliquer la Convention EDH (§61, affaire Banković précitée). Depuis, la Cour a admis à certaines occasions et dans des circonstances précises que la Convention EDH pouvait s’appliquer de manière extraterritoriale.
Le requérant, pour soutenir la recevabilité de sa requête, se fonde sur la jurisprudence Güzelyurtlu (§§ 188-189 et 196, affaire Güzelyurtlu et autres c. Chypre et Turquie n°36925/07, 29 janvier 2019). Selon celle-ci, le simple fait qu’une enquête ait été ouverte pour enquêter sur des décès survenus en dehors de la juridiction territoriale de l’État suffit à créer un lien juridictionnel aux fins de l’article 1 (§115). Le requérant avance également la théorie des « circonstances propres » (§190, affaire Güzelyurtlu précitée et §§ 243-244, affaire Rantsev c. Chypre et Russie, n°25965/04, 7 janvier 2010) selon laquelle, même en l’absence d’enquête, il est possible d’établir ce lien juridictionnel en fonction des particularités de l’affaire (§117).
Le gouvernement, à l’inverse, soutient que la requête est irrecevable. En application, entre autres, de la jurisprudence Behrami et Behrami c. France (affaire Behrami et Behrami c. France, n°71412/01, 2 mai 2007), il relève que les opérations militaires menées sous l’autorité du Conseil de sécurité ne sont pas attribuables aux États parties (§103). Il reconnaît néanmoins que des « circonstances propres » peuvent permettre l’établissement du lien juridictionnel, mais que celles-ci sont absentes en l’espèce (§113). Surtout, il ne souscrit pas au parallèle avec l’affaire Güzelyurtlu : celle-ci visait à combler un vide juridique, qui n’est pas présent en l’espèce du fait de l’obligation d’enquête posée tant par le droit interne allemand que par le droit international humanitaire (ci-après « DIH ») (§108). Des tiers intervenants, notamment les gouvernements britannique et français, expriment leur crainte d’un élargissement trop important de l’applicabilité de la Convention EDH et de l’effet dissuasif que cela pourrait avoir sur les États parties (§125).
Par 14 voix contre 3, la Grande Chambre va donner raison au requérant, et déclare la requête recevable. Cependant, elle écarte le principe posé par la jurisprudence Güzelyurtlun, arguant d’une trop grande différence entre les deux affaires (§135). Elle tient ici compte des remarques faites par les tiers intervenants. Dès lors, elle décide de rattacher le lien juridictionnel à l’existence de « circonstances propres » (§136). Pour ce faire, la Cour en identifie trois : d’abord, l’Allemagne était tenue d’enquêter en vertu du DIH (§137), ensuite, l’Allemagne était la seule juridiquement compétente pour ouvrir une telle enquête en vertu de l’accord international sur le statut des forces de la FIAS (§138), et enfin, l’Allemagne était tenue d’enquêter en vertu de son droit interne, ayant transposé des obligations découlant de son adhésion à la Cour Pénale Internationale via le statut de Rome dans son code de procédure pénale (§139).
ii – de l’effectivité de l’enquête
Concernant la violation alléguée du volet procédural de l’article 2, le requérant estime que l’enquête n’a pas été conduite par des personnes suffisamment indépendantes, que les témoignages recueillis n’accréditaient qu’une seule version des faits, que l’enquête n’a pas respecté l’obligation de célérité et de promptitude, et enfin qu’il n’a pas été suffisamment associé à l’enquête (§157). Ces allégations sont réfutées en tout point par le gouvernement (§§ 174-189).
La Cour, réunie en sa Grande Chambre, considère à l’unanimité des 17 juges qu’il n’y a pas eu de violation du volet procédural de l’article 2. Ainsi, si elle retient des manquements (§§223, 225, 229), elle rappelle qu’il convient d’apprécier les obligations procédurales découlant de l’article 2 de manière réaliste, conformément à une jurisprudence antérieure (affaire Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni, n°55721/07, §168, 7 juillet 2011), c’est-à-dire en prenant en compte les faits de l’espèce et, en l’occurrence, les hostilités actives dans le cadre d’un conflit armé (§200). Elle est ainsi disposée à passer outre les manquements et imprécisions de l’enquête, et ce même si ces obligations sont d’ordinaire qualifiées d’essentielles (§§218, 223).
Si cette jurisprudence ne conduit pas par principe à conclure à l’applicabilité de la Convention EDH dans tous les conflits armés extraterritoriaux impliquant des États parties, les critères retenus pour caractériser des « circonstances propres » sont si larges qu’elle soulève néanmoins de nombreuses interrogations.
Tout d’abord, s’ils suivent la majorité en ce qu’elle constate une non-violation de l’article 2, les juges Grovez, Ranzoni et Eicke, dans une opinion partiellement dissidente, soutiennent que la Cour EDH n’aurait pas dû déclarer la requête recevable. Ils retiennent que pour parvenir à établir un lien juridictionnel dans le cadre d’une violation de l’article 2 en son volet procédural, la Cour EDH a jusqu’alors suivi le raisonnement tel que systématisé dans sa jurisprudence Ukraine c. Russie (§8 – opinion dissidente) (affaire Ukraine c. Russie (Crimée), n° 20958/14 et 38334/18, 16 décembre 2020). Selon ces juges, appliquer ce raisonnement au cas de l’espèce reviendrait à conclure à l’irrecevabilité de la requête.
En retenant ici les « circonstances propres », la Cour EDH parvient à déclarer la requête recevable, mais uniquement après avoir opéré un bricolage juridique conséquent : les « circonstances propres » prévues aux affaires Guzelyurtly et Rantsev précitées proviennent d’affaires dont les faits sont bien différents et nullement comparables au cas de Hanan c. Allemagne (§11). Ainsi, ces affaires faisaient craindre un vide juridique, crainte infondée en l’espèce puisque le DIH tend ici à s’appliquer. Qui plus est, la Cour EDH refuse de définir in abstracto cette notion de « circonstances propres » (§132 – Hanan). Ce faisant, elle conserve la possibilité d’adapter cette notion à sa guise, afin d’habiller juridiquement des décisions prises discrétionnairement.
Au-delà de la théorie, les « circonstances propres » retenues dans l’affaire qui nous concernent sont également problématiques. En effet, l’obligation d’enquêter en vertu du DIH et du droit interne ne sont absolument pas propres à l’Allemagne et au contexte afghan. Au contraire, la majorité des États parties à la Convention EDH sont également soumis à ces obligations (§§ 21, 23 – opinion dissidente). La troisième circonstance, relative à la FIAS, pourrait passer pour propre au contexte afghan. Néanmoins, la Cour le reconnaît elle-même, il s’agit là d’une pratique normalement suivie dans le cadre de missions militaires menées sous mandat des Nations unies (§138).
Dès lors, il semblerait que ces circonstances propres, du fait de leur caractère général, puissent s’appliquer à d’autres conflits que le conflit afghan dans le cadre de la FIAS. Au lieu d’appliquer le principe voulant qu’en cas d’ouverture d’enquête, le lien juridictionnel est acquis, ce qui était la crainte des tiers intervenants, la Cour en invente un nouveau ayant exactement le même effet : un élargissement démesuré de la Convention EDH en cas de conflits armés extraterritoriaux.
La pertinence de cet élargissement doit également être débattue. Si d’aucuns souhaitent voir s’appliquer la Convention EDH d’ordinaire, cela s’explique par la protection accrue des droits et libertés qu’elle est susceptible de fournir. Néanmoins, dans le cas de l’espèce, la Cour a constaté et regretté des manquements – parfois essentiels – au volet procédural de l’article 2 sans pour autant les condamner, arguant de la spécificité des conflits armés. À quoi bon le passe-passe juridique opéré quant à la recevabilité de la requête si, en définitive, la Cour ne protège pas davantage que la lex specialis en la matière, à savoir le DIH ? Si cette jurisprudence semble apporter une insécurité juridique du fait de l’utilisation de critères flous et généralistes, elle semble, malgré la conclusion de cette affaire, témoigner de la volonté de la Cour EDH d’ouvrir la voie à un standard de protection accrue lors d’opérations militaires extraterritoriales menées par les États parties.
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