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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.

Une nouvelle confrontation de la gestation pour autrui avec les droits fondamentaux des enfants et des parents d’intention

par Juliette FOULON
Etudiante en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie

Affaire : Cass. Civ. 1ère, 21 septembre 2022, 20-18.687

I – Texte

II – Contexte

L’épineux sujet de la gestation pour autrui (ci après « GPA ») agite depuis longtemps la jurisprudence française. Cette dernière fait pourtant l’objet, depuis la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, d’une stricte prohibition posée par l’article 16-7 du code civil selon lequel « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. ». La Cour de cassation se retrouve de plus en plus face à des situations complexes, certains français, désireux d’avoir des enfants, ayant recours à la GPA à l’étranger malgré la prohibition posée. Reconnaitre ces enfants reviendrait à violer l’article 16-7 du code civil, mais une non-reconnaissance les condamnerait à être des enfants évincés de la société. Dès lors, il s’agit pour la jurisprudence française de ménager un équilibre entre l’ordre public et l’intérêt supérieur de l’enfant, notion influant sur la filiation, mais notion indéfinie offrant aux magistrats une certaine liberté d’appréciation (pour exemple, un spécialiste de la convention de La Haye, M. Bill Hilton, souligne que « l’intérêt de l’enfant, c’est un morceau de caoutchouc ; le juge tire dessus pour lui donner la forme qu’il souhaite »).

À la suite d’une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme (ci après « Cour EDH »), la Cour de cassation a atténué cette interdiction et a admis la retranscription des actes de naissance issus d’une GPA à l’étranger (CourEDH, 26 juin 2014, Mennesson c/ France, requête n°65192/11).

Malgré tout, un nouvel obstacle a vu le jour : celui de l’autorité parentale de la mère porteuse,   qui peut être un frein à l’adoption par le conjoint du parent biologique. En effet, l’article 378-1 du code civil autorise le retrait de l’autorité parentale par le juge civil pour divers motifs (mauvais traitements, consommation d’alcool ou de stupéfiants, inconduite notoire, comportements délictueux, défaut de soin ou manque de direction), si le parent met manifestement en danger la santé, la sécurité ou la moralité de l’enfant. Dès lors, comment cette condition doit-elle être interprétée ? Est-elle remplie en présence d’un enfant né d’une GPA à l’étranger, élevé en France par son père et son conjoint, dont la mère porteuse, de fait, s’est désintéressé, ne lui apportant aucun soin ni direction ?

III – Analyse

Le père biologique de jumeaux, nés en Inde à la suite d’une GPA, se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 9 juin 2020 rejetant sa demande de retrait de l’autorité parentale de la mère biologique sur ses deux enfants, cette dernière ayant, selon une déclaration du 30 juillet 2010 effectuée en Inde, renoncé à tous ses droits parentaux sur les deux enfants. Dès lors, pour le père biologique, ce refus du retrait de l’autorité parentale interdirait aux enfants d’être adoptés par son conjoint, leur interdirait de constituer une vraie famille et constituerait une atteinte à leur vie privée et familiale discriminatoire, puisque fondée sur la naissance, en violation des articles 8 et 14 de la CEDH.

La Cour de cassation écarte les différents griefs tirés de la méconnaissance, non seulement des articles 373-2-6 et 378-1 du code civil, mais aussi des articles 8 et 14 de la CEDH, et confirme le raisonnement de la cour d’appel en tout point, que ce soit sur le volet interne ou européen.

Concernant le droit interne, la cour d’appel rappelle tout d’abord les termes de l’article 378-1, alinéa premier, du code civil et constate « qu’un défaut de soins ou un manque de direction ne peut justifier le retrait de l’autorité parentale que s’il met en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l’enfant. », ce danger devant être manifeste et démontré par le requérant. Ensuite, les juges du fond soulignent, à juste titre, que l’ensemble des pièces communiquées démontrait que les enfants « étaient équilibrés, heureux et parfaitement pris en charge. ». Effectivement, la cour d’appel a constaté le défaut de soins en relevant que la mère porteuse était absente de leur vie, mais rien ne démontrait que cette absence était source de danger pour eux, susceptible de justifier, au regard de l’intérêt supérieur des enfants,  le retrait de l’autorité parentale de la mère porteuse.

Concernant le grief fondé sur le droit européen, les juges du fond ont légalement justifié leur décision en estimant que l’article 8 de la CEDH, d’une part, n’impose aucune adoption même s’il y a des liens d’affection et, d’autre part, admet que l’adoption des enfants par le conjoint du père demeure ouverte, sous réserve, notamment, que la déclaration du 30 juillet 2010, par laquelle la mère a renoncé à ses droits parentaux, soit déclarée valide et conforme avec l’intérêt de l’enfant. De ce fait, pour la Cour, aucune disproportion de l’atteinte au droit au respect de la vie privée ne peut être caractérisée dès lors que la voie de l’adoption était ouverte au conjoint du père biologique. Enfin, la cour d’appel n’a pas non plus violé l’article 14 de la CEDH, posant une interdiction de toute discrimination, dès lors que les conditions légales du retrait de l’autorité parentale, telles que posées par l’article 378-1 du code civil, s’appliquent indifféremment à tous les enfants, sans distinction aucune fondée sur la naissance.

IV – Portée

La décision commentée s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence veillant à un strict contrôle de la GPA (pour exemple, Civ. 1re, 13 septembre 2013, n°12-18.315). De même, elle ne remet pas en cause la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 sur la bioéthique, limitant la transcription d’un acte d’état civil étranger au seul parent biologique, pour les enfants nés de GPA ; le conjoint du parent biologique pouvant quant à lui engager une procédure d’adoption.

Dès lors, cet arrêt peut sans doute témoigner d’une certaine sévérité pour le demandeur, mais il reste conforme à l’article 378-1 du code civil ; en effet, le danger pour l’enfant exigé par ce texte est d’ordre physique, et non juridique : il est bien évident que la mère porteuse, dans une telle situation, ne peut pas s’occuper de l’enfant, mais il n’est pas pour autant en danger.

Ainsi, la juridiction propose une solution au refus du retrait de l’autorité parentale : l’adoption. Solution déjà avancée par la Cour de cassation (Civ. 1re , 5 juillet 2017, n° 16-16.455) et acceptée (Civ, 1re, 4 novembre 2020, n°19-15.739), et qui semble s’inscrire dans la continuité de la loi n° 2022-219 du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption. Cette dernière ouvre l’adoption aux couples liés par un pacte civil de solidarité et aux concubins, et valorise l’adoption simple. Une avancée qui est à saluer mais qui posera surement des problèmes concrets, augmentant le nombre de candidats à l’adoption et donc les délais d’attente pour accueillir un enfant.

Alors même que d’autres pays ont légalisé la pratique de la GPA, le principe en France reste, comme vu précédemment, celui de la prohibition. De ce fait, la Cour ne peut donner aucune indication sur une possible reconnaissance généralisée de la GPA réalisée à l’étranger en violation de l’ordre public français, à laquelle une partie des parlementaires reste hostile (pour exemple, la proposition de loi constitutionnelle du 7 juillet 2022, visant à proscrire le recours à la GPA).

Enfin, il apparaît surprenant que la mère porteuse, sans doute contrainte d’accepter la GPA en raison de sa grande précarité, se voit reprocher, par le demandeur, un désintérêt pour ses enfants à l’appui d’une demande de retrait de l’autorité parentale, alors que ce dernier est lui-même à l’origine de ce désintérêt, par la GPA qu’il a sollicitée.

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