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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.
par Amandine Berot
Etudiante en Master 2 Droit des libertés
à l’Université de Caen Normandie
Affaire : Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 octobre 2024, 23-86.670
Le droit au respect de la vie privée et familiale est consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (Conv. EDH), ainsi que par de nombreux textes internationaux, tels que l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou bien l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il constitue le pilier de toute société démocratique. Le caractère fondamental de ce droit impose aux États des obligations positives : celles d’adopter des mesures concrètes garantissant son respect effectif (Cour EDH Airey c. Irlande, n°6289/73, 9 oct. 1979). Pourvu d’un champ d’application étendu, ce droit revêt quatre grands volets : la vie privée, la vie familiale, l’inviolabilité du domicile et le secret des correspondances.Â
Toutefois, ce droit n’a pas un caractère absolu. Le paragraphe 2 de l’article précité énonce le principe selon lequel son exercice peut faire l’objet d’ingérences par les autorités publiques sous trois conditions, précisées au fil des ans par la jurisprudence de la Cour européenne (V. par ex.  Kruslin c. France, n°11801/85 et Huvig c. France, n°11105/84, 24 avr. 1990). Tout d’abord, l’ingérence doit être prévue par la loi (une loi accessible, précise et prévisible) ; ensuite, elle doit poursuivre un but légitime (telle que la protection des droits et libertés d’autrui, arrêtVautier c. France, n°28499/05, 26 nov. 2009); enfin est exigée une proportionnalité entre le besoin social impérieux relevant de cette ingérence et l’objectif poursuivi (§51, arrêtDudgeon c. Royaume Uni, n°7525/76, 22 oct. 1981).
En droit interne, le droit à la vie privée est régi par l’article 9 du Code civil. Lorsqu’il est question du domicile, cette notion est fréquemment rattachée au principe de l’inviolabilité du domicile, afin de protéger les individus d’une intrusion, par l’État ou des tiers. Dans l’affaire commentée, il n’est pas question de l’inviolabilité du domicile, mais de l’impossibilité imposée par un juge, d’accéder à son propre domicile. En effet, lorsqu’une personne est déclarée pénalement irresponsable pour cause de trouble mental sur le fondement de l’article 122-1 du code pénal, elle peut se voir imposer des mesures de sûreté en raison de sa dangerosité (Cass. crim.15 nov. 2022, n°22-81.366). L’article 706-136 du Code de procédure pénale (ci-après CPP) mentionne notamment l’interdiction de paraître dans certains lieux (Cass. crim., 29 nov. 2017, n°16-85.490). Se pose donc la question de savoir si une telle interdiction, lorsqu’elle s’applique au lieu du domicile d’un individu, est compatible avec le droit au respect de la vie privée et à l’article 8 de la Conv. EDH.
Dans cette affaire, un homme a tiré sur le tracteur conduit par son voisin avec un fusil de chasse. Il a ensuite, lors de son interpellation, menacé des gendarmes avec sa carabine. Il fut en conséquence poursuivi pour violences avec arme et préméditation et rébellion avec arme. Toutefois, la chambre de l’instruction rendit un arrêt d’irresponsabilité pénale en raison d’un trouble mental lors de la commission des faits. Une hospitalisation complète et des mesures de sûreté furent ordonnées, sur le fondement de l’article 706-136 du CPP. Parmi ces mesures figuraient l’interdiction d’entrer en relation avec la victime et ses proches, de fréquenter certains lieux, notamment la commune de son domicile, et de détenir une arme. Un pourvoi a été formé.
Le moyen du pourvoi se compose de deux branches. Dans la première branche, est contestée la compatibilité de l’interdiction de paraître dans sa commune, où se trouve son domicile, avec le droit au respect de sa vie privée posé par l’article 8 Conv. EDH. Dans la seconde branche, est reprochée à la Chambre de l’instruction une insuffisance de motivation en ce que cette mesure serait disproportionnée au regard de son droit au respect de la vie privée. Le demandeur fait valoir que les juges auraient dû tenir compte de son âge, de sa situation professionnelle, ainsi que de la capacité de sa fille à pouvoir l’héberger. Â
Sur la première branche, la Cour de cassation estime que l’interdiction de paraître dans certains lieux, prévue par l’article 706-136 du CPP, peut s’appliquer au domicile. Elle précise, toutefois, que cette interdiction constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale de l’article 8 Conv. EDH. Ainsi, cette ingérence doit se justifier par un but légitime et revêtir un caractère nécessaire et proportionné. En l’espèce, la Cour juge que cette mesure poursuit un but légitime, à savoir éviter toute rencontre fortuite avec la victime, en raison des circonstances et de la gravité des faits ainsi que du risque de réitération. Sur la seconde branche, la Cour estime que la Chambre de l’instruction a suffisamment motivé sa décision en prenant en compte les éléments de la situation personnelle de l’accusé, notamment le fait que ses enfants ne soient plus à sa charge et qu’il pourra exercer ses droits familiaux en résidant chez l’une de ses filles. Dès lors, la Cour de cassation rejette le pourvoi, ne retenant aucune atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale.
Cet arrêt s’inscrit dans le cadre classique du contrôle de conventionnalité au regard de l’article 8 Conv. EDH. Ce contrôle doit se faire en appliquant les conditions du paragraphe 2 dudit article. L’ingérence doit être prévue par la loi, viser un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique. Dans l’affaire, la Cour de cassation applique ces critères pour examiner la conventionnalité d’une mesure de sûreté prononcée sur le fondement de l’article 706-136 du CPP. Elle considère que l’interdiction de paraître à son propre domicile constitue une ingérence dans la vie privée. Néanmoins, cette mesure poursuit un but légitime : celui d’éviter les rencontres fortuites avec la victime et éviter le risque de récidive. Cette mesure répond ainsi à un besoin social impérieux : la sécurité et le maintien de l’ordre public. Elle juge également que la Chambre de l’instruction a suffisamment pris en compte les circonstances de la situation personnelle de l’individu, notamment ses liens familiaux, pour évaluer la proportionnalité de la mesure.Â
Le problème de la conventionnalité de certaines mesures pénales a déjà été abordé par la jurisprudence, notamment dans le cadre du contrôle judiciaire (Cass. crim., 6 févr. 2013, n°12-87.659 : interdiction de se rendre dans son pays d’origine) ou de la détention provisoire (Cass. crim., 22 oct. 2024, n°24-84.555), en raison de leur impact important sur la vie privée et le maintien des liens familiaux. Ainsi, une détention provisoire peut devenir inconventionnelle si elle n’est pas justifiée au titre de l’ingérence du paragraphe 2 de l’article 8 Conv. EDH.Â
L’originalité de cette affaire réside dans le fait que la Cour de Cassation se prononce ici pour la première fois sur l’article 706-136 du CPP, au sujet d’une mesure de sûreté appliquée à une personne pénalement irresponsable. C’est un cas inédit où la question de l’équilibre entre la sécurité publique et la protection des droits de l’individu se pose spécifiquement pour les personnes pénalement irresponsables. Ce contrôle de conventionnalité opéré par la chambre criminelle peut être comparé au contrôle de constitutionnalité du Conseil constitutionnel. Ce dernier veille à concilier le respect de la vie privée, protégée l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, avec le maintien de l’ordre et la prévention des infractions (V. par ex. C. constit., déc.  n°2014-693 DC du 25 mars 2014), tout comme la chambre criminelle et la cour EDH
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