27/12/2024
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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.
par Charlotte GIRARD
Etudiante en Master 2 Droit des libertés
à l’Université de Caen Normandie
Affaire : CJUE, 22 novembre 2022, C-69/21
Le principe de non refoulement, garanti en droit européen et international, suppose qu’un Etat ne peut adopter une mesure d’éloignement à l’encontre d’un ressortissant d’un pays tiers, même en situation irrégulière, dès lors qu’il existe un risque réel que celui-ci soit exposé à de mauvais traitements dans l’Etat de destination. Il convient de préciser que l’interdiction des traitements inhumains et dégradants, protégée de manière équivalente par l’article 3 de la CEDH et l’article 4 de la CDFUE, dès lors que ceux-ci atteignent le seuil de gravité requis, revêt un caractère absolu en raison de son rattachement au principe de dignité humaine.
Parfois trop restrictive en se montrant davantage prétexte à répression qu’à protection, parfois trop englobante en empiétant sur le droit international, la protection offerte aux étrangers contre les éloignements en droit de l’UE manquait de clarté. Si la directive 2008/155/CE (dite « retour ») a tenté d’harmoniser ce droit, des questions restées en suspens ont amené la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) à se prononcer.
A l’instar de la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH), la CJUE tend vers une protection de plus en plus inclusive du principe de non refoulement en ajoutant la notion de douleur dans l’analyse du risque de traitement inhumain ou dégradant. Du fait de leurs décisions communes, elles renforcent la protection des droits fondamentaux et offrent une sécurité juridique aux ressortissants étrangers.
Le litige concerne un ressortissant russe, atteint d’une forme rare de cancer du sang et soigné aux Pays-Bas. Le traitement prescrit, interdit en Russie, consiste notamment en l’administration de cannabis thérapeutique. Suite à plusieurs demandes d’asile rejetées, le requérant a quitté le champ du droit des réfugiés pour entrer dans celui du droit des étrangers et a saisi le tribunal de la Haye aux fins d’obtention d’un titre de séjour ou de report de la mesure d’éloignement au motif que, en cas d’interruption du traitement, « la douleur serait à ce point importante qu’il ne pourrait plus dormir ni se nourrir, ce qui aurait des conséquences importantes non seulement sur son état physique, mais aussi sur son état psychique, le rendant dépressif et suicidaire » (point 21). La « situation d’urgence médicale », au sens de la loi néerlandaise, n’étant pas avérée, le recours a abouti à un renvoi préjudiciel devant la CJUE dans le but de savoir si la mesure de retour était conforme au droit de l’UE.
En premier lieu, après avoir rappelé l’obligation positive des Etats de respecter le principe de non refoulement, la CJUE se réfère à la jurisprudence de la Cour EDH qui a appliqué, « par ricochet », l’article 3 de la CEDH aux demandeurs d’asile faisant l’objet d’une mesure d’éloignement en établissant que la responsabilité de l’Etat est engagée dès lors qu’une procédure d’extradition expose le ressortissant étranger à des risques de mauvais traitements dans le pays de destination (Cour EDH, 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, req. n° 14038/88) et affirmé que cet article s’oppose à une telle mesure prise à l’encontre d’un étranger malade dès lors que celui-ci s’expose à « risque réel d’être exposé à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses » (Cour EDH, 13 décembre 2016, Paposhvili c. Belgique, req. n° 41738/10). En adoptant cette approche, la CJUE juge que le droit de l’UE s’oppose à une décision de retour prise à l’encontre d’un étranger malade en séjour irrégulier « lorsqu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le retour de ce ressortissant exposerait ce dernier, en raison de l’indisponibilité de soins appropriés dans le pays de destination, à un risque réel de réduction significative de son espérance de vie ou de détérioration rapide, significative et irrémédiable de son état de santé, entraînant des douleurs intenses » (point 66).
En deuxième lieu, la CJUE réfute l’introduction d’un délai strict durant lequel l’augmentation de la douleur devrait s’effectuer pour que la mesure d’éloignement soit contestée (point 76).
En troisième lieu, un Etat ne peut organiser le retour d’un ressortissant étranger en ne s’inquiétant des conséquences sur sa santé qu’au moment du voyage sans prendre en compte celles au sein de l’Etat de destination (point 82).
En dernier lieu, si la délivrance d’un titre de séjour est de la compétence exclusive des Etats membres, la Cour juge que la mise en œuvre d’une mesure d’éloignement doit respecter les droits fondamentaux, en particulier le droit au respect de la vie privée. Les traitements médicaux ajoutés aux éléments de la vie privée, les autorités nationales ne peuvent prendre une telle mesure sans évaluer l’état de santé du ressortissant. Toutefois, la CJUE pose une limite en disant que, pour que l’Etat membre soit privé de prendre une mesure d’éloignement, il ne suffit pas d’établir que le ressortissant étranger soit affecté par un changement de traitement en cas de retour. Il est nécessaire que le risque de mauvais traitements atteigne le seuil de gravité requis.
Si la résolution du litige appartient désormais aux juridictions internes, la décision rendue par la CJUE lie les Pays-Bas mais également les autres Etats membres.
Contrairement à la Cour EDH qui a depuis longtemps une position ferme en la matière, la CJUE n’a pas toujours été protectrice envers les étrangers malades en situation irrégulière. Elle avait d’abord jugé que l’absence de traitement médical adéquat dans le pays de destination n’est pas cause de rejet d’une mesure d’éloignement, même si cela n’entraine pas une éligibilité à la protection subsidiaire (CJUE, 18 décembre 2014, M’Bodj c. Belgique, C-542/13). Elle avait ainsi réduit le champ de protection des étrangers malades en interprétant de manière stricte la notion de traitement inhumain et dégradant.
Ici, la CJUE instaure un dialogue des juges en suivant les traces de la Cour de Strasbourg qui a permis une avancée considérable dans la protection des étrangers malades, notamment en abaissant le seuil de gravité requis pour lequel le retour d’un étranger constitue un mauvais traitement. Si la seule douleur est désormais prise en compte par la Cour EDH dans l’analyse d’un éventuel traitement inhumain et dégradant, et non plus nécessairement des circonstances exceptionnelles, la CJUE apparait audacieuse dans le but de permettre à l’article 4 de la CDFUE d’offrir une plus large protection que celle offerte par l’article 3 de la CEDH. En effet, la Cour de Luxembourg a étendu ce raisonnement en n’exigeant du demandeur d’asile débouté qu’une « détérioration rapide, significative et irrémédiable », contre « un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses » (op. cit.) dans les arrêts de la Cour EDH.
Ce mouvement jurisprudentiel tend à instaurer des standards de protection pour les ressortissants d’Etats tiers malades risquant de ce fait d’être exposés à de mauvais traitements. Le principe de non refoulement bénéficie alors d’une vision extensive dans la jurisprudence luxembourgeoise. Néanmoins, la CJUE aurait pu aller encore plus loin en instaurant une obligation de report des mesures d’éloignement pour les ressortissants d’Etats tiers malades, voire une obligation de droit au séjour pour raisons de santé.
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