03/07/2025
L’équipe de l’Institut international des droits de l’Homme et de la paix a sélectionné ses coups de cœurs du mois de juin à regarder, écouter et lire.
L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.
par Charline Lebrasseur
Etudiante en Master 2 Droit des libertés
à l’Université de Caen Normandie
Affaire : Cass. Crim. 26 octobre 2022, Alexandra Richard, 21-86.419
Depuis le code pénal entré en vigueur en 1994, la peine encourue pour certaines infractions (actes de torture et de barbarie, violences volontaires) est aggravée lorsque celles-ci ont été commises par le conjoint ou le concubin de la victime. La loi du 4 avril 2006 « renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs » a étendu le champ de cette circonstance aggravante au meurtre et aux agressions sexuelles (C. pén. art. 132-80). Celle-ci a une application très large : conjoints, partenaires de pacs, concubins, qu’ils soient actuels ou anciens, un lien entre l’infraction et la relation de couple présente ou passée devant alors être prouvée. De plus, la loi du 3 août 2018 a étendu la circonstance aggravante aux couples non cohabitant.
La tendance législative actuelle est donc davantage tournée vers une pénétration progressive du cercle familial par le droit pénal. Malgré cela, le code pénal ne va pas encore jusqu’à accorder à la victime de violences conjugales un droit de légitime défense spécifique : elle reste soumise aux conditions de droit commun de cette cause d’irresponsabilité (C. pén. art. 122-5), à savoir un acte de défense nécessaire et proportionné accompli pour répondre à une agression injuste et actuelle.
Ainsi, ni le droit français ni le droit européen ne prévoit de présomption de légitime défense au profit des victimes de violences conjugales. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (dite Convention d’Istanbul) de 2011, ratifiée par la France, établit des normes contraignantes visant spécifiquement à prévenir les violences fondées sur le genre, à protéger les victimes de violences et à sanctionner les auteurs, sans pour autant envisager cette hypothèse. Il en est de même de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), qui pourtant, se fondant sur les articles 2, 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme (Convention EDH), impose aux États des obligations positives et met à la charge des autorités le devoir de prendre des mesures pour lutter contre les violences domestiques (CEDH, Opuz c/ Turquie, 9 juin 2009, no 33401/02).
Une femme subissant depuis des années des violences de la part de son concubin lui a donné la mort par arme à feu au cours d’une ultime dispute durant laquelle ce dernier, en état d’ébriété, l’aurait menacée verbalement de mort. Elle est condamnée, notamment, à dix ans de réclusion criminelle pour meurtre aggravé. Elle décide toutefois de se pourvoir en cassation.
Le premier moyen du pourvoi invoque la légitime défense. La cour d’assises d’appel, pour écarter cette cause d’irresponsabilité, a estimé que ces seules menaces verbales ne suffisaient pas pour caractériser un acte de légitime défense nécessaire et proportionné. Elle aurait ainsi méconnu les articles 2, 3 et 8 de la Convention EDH ainsi que la Convention d’Istanbul. Le pourvoi soutient qu’au regard de ces textes, toute autorité publique a l’obligation de tenir compte, en cas d’allégations de violences domestiques, de la spécificité de ces violences, et qu’il doit en être fait état dans la feuille de motivation de la condamnation, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Le troisième moyen conteste la prise en compte de la circonstance aggravante liée à la qualité de concubin de la victime. La cour d’assises d’appel aurait alors une nouvelle fois, violé les articles 2, 3 et 8 de la Convention EDH. Le pourvoi soutient qu’au regard de ces textes, cette circonstance aggravante ne peut être retenue en présence d’un acte qui, même non couvert par la légitime défense, s’inscrivait dans un geste visant à se défendre de violences domestiques.
Sur le premier moyen, la Cour de cassation estime que la cour d’assises a motivé sa décision conformément à la loi (C. Proc. pén. art. 365-1) et à l’article 6 Convention EDH, sans méconnaître les dispositions conventionnelles évoquées, et que le moyen revient simplement à remettre en cause l’appréciation souveraine des juges du fond.
Sur le troisième moyen, la Cour de cassation estime que la circonstance aggravante liée à la qualité de concubine de l’accusée, quoique personnelle, est objective et ne peut donc être écartée en raison de ce que l’auteur a subi des violences domestiques.
Toutefois, la Cour précise que le principe d’individualisation des peines permet au juge d’adapter la sanction et ses modalités d’exécution (C. pén. art. 132-1), et donc de tenir compte de la situation particulière de l’accusée
Au regard du droit interne, la solution est sans surprise. La jurisprudence reste attachée aux conditions légales de la légitime défense posées par l’article 122-5 du code pénal, et rejette de façon constante ce moyen de défense lorsque l’infraction est commise en raison des violences conjugales, mais sans que ces dernières soient actuelles et réelles au moment de l’acte (Cass. crim., 10 juin 2015).
Cela s’explique notamment parce que le mobile est en principe sans incidence sur la qualification pénale, et n’est pas en soi un fait justificatif. Toutefois, comme le rappelle la Cour de cassation, la loi dans le cadre de l’individualisation de la peine, permet de prendre en compte malgré tout, la spécificité des violences conjugales. La peine prononcée pouvant être bien inférieure à la peine encourue, dans le respect du plancher fixé par l’article 132-18 du code pénal (en l’espèce, 10 ans de réclusion prononcée, alors que le meurtre aggravé fait encourir la perpétuité). De plus, le droit français prévoit un dispositif de prévention des violences conjugales, depuis la loi du 9 juillet 2010 qui a créé l’ordonnance de protection prise en urgence par le tribunal aux affaires familiales.
Au regard du droit européen, la Cour de cassation en l’espèce estime que les juges, en écartant la légitime défense, n’ont pas méconnu les textes conventionnels invoqués. Si la Cour EDH impose des obligations positives fondées sur les articles 2, 3 et 8 pour protéger les femmes victimes de violences (CEDH Kurt c/Autriche 15 juin 2021), elle ne va pas jusqu’à prévoir le jeu de la légitime défense en toute hypothèse à leur profit. De même, la Convention d’Istanbul ne vise pas cette situation.
Diverses voies sont envisageables pour améliorer la situation des victimes de violences conjugales qui sont passées à l’acte contre leur conjoint ou concubin violent : la légitime défense différée et la présomption de légitime défense.
La notion de légitime défense différée assurerait une conception plus souple des critères de la légitime défense classique. Elle permettrait de passer outre l’exigence du caractère actuel de l’agression en considérant le continuum des violences domestiques. La Cour Suprême du Canada en 1990 a, sur cette base, acquitté Angélique Lavallée du meurtre de son conjoint, en se fondant sur une expertise attestant qu’elle présentait un syndrome de femme battue (Cour Suprême du Canada, R. c. Lavallee, 5 mai 1990).
L’autre voie serait d’instaurer un nouveau cas de présomption de légitime défense pour les victimes de violences conjugales. Une proposition de loi a été présentée en 2019 à l’Assemblée nationale mais elle n’a jamais vu le jour.
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