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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.

Douane

par Bryan CHARDINNE
Etudiant en Master 2 Droit des libertés
à l’Université de Caen Normandie

Affaire : Cour de cassation, chambre criminelle, 27 sept 2023, n°23-80.314

I. – Textes

  • Convention Européenne des Droits de l’Homme (ci-après Conv.EDH) : Article 6
  • Code de procédure pénale (ci-après CPP) : Articles 171 et 802
  • Code des douanes (ci-après CDD) : Article 60

II. – Contexte

Le régime du droit de visite général reconnu aux agents des douanes fait l’objet d’une actualité fournie. La Cour de cassation a récemment infléchi sa position classique fondée sur le caractère non coercitif et temporaire d’une telle opération (Crim. 13 juin 2012, n°12-90.025) en acceptant de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (Crim. 22 juin 2022, n°22-90.008). Le Conseil constitutionnel a abrogé l’article 60 du Code des douanes en cause à compter du 1er septembre 2023 en raison de son caractère imprécis (Cons. const. 22 sept. 2022, n° 2022-1010 QPC). Le législateur a pris acte de cette décision par la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces, qui introduit de nouvelles dispositions précisant le régime du droit de visite des agents des douanes.

Le régime de nullité des actes de procédure en matière pénale est quant à lui bien établi. La nullité peut d’abord être textuelle (V. CPP art. 80-1). Elle peut ensuite être substantielle. Elle est soulevée d’office par le juge lorsqu’elle est d’ordre public, c’est à dire en cas de violation de règles impératives du fonctionnement de la justice, telle que l’absence du ministère public à l’audience (Crim. 30 oct. 1995, n°94-85.320). Lorsqu’elle est d’intérêt privé, elle est soumise à la démonstration par le demandeur de son intérêt à agir (il doit être concerné par l’acte), de sa qualité pour agir (la règle méconnue a pour objet de préserver un droit qui lui est propre) et d’un grief (CPP art. 171 et 802), sous réserve des irrégularités portant nécessairement atteinte aux droits de la défense, notamment lorsque que la défense n’a pas la parole en dernier (Crim. 29 avr. 1996, n°95-82.081).

Ces deux régimes peuvent être amenés à se croiser lorsqu’une visite douanière classique bascule en une opération de police judiciaire, en cas d’indices sérieux laissant présumer une violation de la législation douanière. En cas de nullité du procès-verbal constatant l’opération, l’ensemble de la procédure pénale subséquente risque elle aussi l’annulation. Une telle hypothèse aurait pu se réaliser en l’espèce.

Lors d’une mission de contrôle sur une aire d’autoroute, des douaniers aperçoivent dans un véhicule vide des billets de banque enveloppés dans du cellophane ainsi qu’une housse noire posée sur le plancher. Confortés par l’attitude de leurs chiens qui marquent le véhicule, ils brisent l’une de ses vitres. Ils découvrent des armes, des munitions et de la résine de cannabis. Le propriétaire est identifié et mis en examen des chefs de blanchiment, association de malfaiteurs et complicité d’infraction à la législation sur les armes. Il est placé en détention provisoire.

Sa requête en annulation de la fouille du véhicule est rejetée par la chambre de l’instruction. Cet arrêt est cassé par la chambre criminelle (Crim. 23 févr. 2022, n° 21-85.050), qui conclut à une violation de l’article 60 du CDD et de l’article 6 de la Conv.EDH. Sur renvoi, la chambre de l’instruction rejette à nouveau ses demandes. Le demandeur se pourvoit de nouveau en cassation.

III. – Analyse

Le demandeur allègue que la fouille est irrégulière car elle a été effectuée dans un véhicule stationné sur la voie publique libre de tout occupant et en l’absence de tout témoin. Il soutient qu’une telle irrégularité est d’ordre public.

La chambre de l’instruction reconnaît d’abord que la fouille est irrégulière en ce qu’elle n’a permis aucune authentification des recherches et découvertes par un tiers. Toutefois, elle considère que l’exception de nullité n’est pas d’ordre public. Elle doit être soulevée par le demandeur, qui doit donc démontrer que l’irrégularité lui a causé un grief, en vertu des articles 171 et 802 du CPP (Crim. 7 sept. 2021, n°20-87.191).

S’appuyant sur les articles 6 de la Conv. EDH et 60 du CDD, la chambre criminelle réitère qu’à défaut de garantie prévue par la loi, les douaniers sont tenus de procéder à la visite d’un véhicule stationné sur la voie publique en la présence de son occupant ou d’un tiers afin d’assurer l’authentification des recherches et découvertes effectuées.

S’agissant de l’exception de nullité fondée sur l’irrégularité de la visite, la Cour rejoint le premier juge en ce qu’elle considère qu’une telle irrégularité entre dans le champ de l’article 802 du CPP. Le demandeur devait donc rapporter l’existence d’un grief résultant de l’irrégularité de la fouille, ce qu’il n’est pas parvenu à faire en l’espèce. La Cour conclut donc au rejet du pourvoi.

IV. – Portée

Cette solution est pertinente au regard du droit positif.


La Cour prend d’abord acte de la censure du régime du droit de visite des agents de douanes dont elle est elle-même l’initiatrice (Crim. 22 juin 2022, n°22-90.008). Bien que bornée par une jurisprudence antérieure soucieuse des droits fondamentaux (Crim. 18 déc. 1989, n°89-81.659 ; Crim. 12 nov. 2015 n°15-83.714 ; Crim. 13 juin 2019, n°18-83.297), la rédaction de l’ancien article 60 du CDD laissait un pouvoir considérable aux agents des douanes, faisant peser des risques sur les droits des mis en cause. Elle fut censurée pour ce motif par le Conseil constitutionnel, fidèle à une jurisprudence conciliant l’objectif à valeur constitutionnel de recherche des auteurs d’infractions (Cons. const 16 juillet 1996 n° 96-377 DC) avec la liberté d’aller et venir (Cons. const 12 juillet 1979 n° 79-107 DC) et le droit au respect de la vie privée (Cons. const 23 juillet 1999 n°99-416 DC ; Cons. const. 22 sept. 2022, n° 2022-1010 QPC). Cette censure se justifie par les incidences concrètes d’une telle rédaction, comme ce fut le cas en l’espèce (la chambre de l’instruction considérait régulière le bris d’une vitre d’un véhicule libre de tout occupant par des agents de douane non habilités à effectuer un tel acte). Le législateur a répondu de façon adéquate à cette censure. Ainsi, l’actuel article 60-3 du CDD exige désormais que le procureur de la République soit informé d’une telle opération et puisse s’y opposer.

La question de l’inclusion de l’irrégularité du droit de visite d’un véhicule libre de tout occupant dans le champ des articles 171 et 802 du CPP est relativement inédite dans la jurisprudence de la chambre criminelle. Un récent arrêt en fait mention pour la première fois, au sujet de la qualité à agir, suggérant implicitement qu’une telle exception de nullité n’est pas d’ordre public (Crim. 6 févr. 2020, n° 19-85.128). Un choix contraire aurait été incohérent avec les exigences du droit positif. On ne saurait en effet raisonnablement assimiler l’irrégularité d’un tel acte à la violation d’une règle impérative du système judiciaire (qu’il s’agisse d’une règle de compétence ou de procédure). Reste donc l’examen des conditions de droit commun, non remplies en l’espèce faute de grief.

La Cour aurait pu être sensible à l’argument selon lequel l’irrégularité a porté nécessairement atteinte aux droits de la défense de l’intéressé. Soulevé lors du premier pourvoi, il n’est pas retrouvé en l’espèce. Il n’est pas assuré que cet argument pût prospérer devant la Cour, respectueuse du principe de sécurité juridique en matière de nullités, brillamment résumé par le professeur Brouillaud : « Le droit des nullités doit garantir la sérénité de la procédure, sans pour autant entraver la marche vers la vérité » (J.-P. BROUILLAUD, « Les nullités de procédure : des procédures pénales et civiles comparées », Recueil Dalloz 1996, pp. 98-102 »)

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