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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.

par Julie DUBOIS
Etudiante en Master 2 Droit des libertés
à l’Université de Caen Normandie

Affaire : Conseil Constitutionnel, décision 2023-1059 QPC du 14 septembre 2023

I. – Textes

  • Code de la sécurité intérieure : article L.272-1
  • Constitution française révisée, 4 octobre 1958 : article 34
  • Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : article 2
  • Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis : article 3
  • Code de procédure pénale : articles 39-3, 706-95-12

II. – Contexte

S’il fut un temps où les remparts entourant la vie privée étaient solides, force est de constater qu’ils sont parfois secoués. Rattachée à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen par le Conseil constitutionnel (Cons. constit. Décision 99-416 DC, 23 juillet 1999), la vie privée comprend plusieurs aspects, du secret des correspondances à l’inviolabilité du domicile, thème au cœur de la décision en cause, dont la protection demeure fondamentale.

Notion unanime sur la scène juridique internationale, l’inviolabilité du domicile est notamment protégée par les articles 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle permet d’assurer que personne ne puisse s’introduire dans une habitation sans le consentement de son occupant. Le domicile englobe tout lieu où une personne a le droit de se dire chez elle, quel que soit le titre juridique de son occupation des lieux, et qu’elle y habite ou non (Cass. crim. 13 octobre 1982, n°81-92.708). Il doit s’agir d’un lieu clos, qui dispose des équipements nécessaires à une habitation effective. Ainsi, la distinction entre partie commune et lieu privé peut parfois s’avérer ambiguë. Si un garage pourrait effectivement constituer un domicile selon son utilisation, des parties communes telles que des halls d’immeubles, n’entrent, elles, pas dans cette catégorie.

Accéder à ces parties communes est donc, naturellement, plus aisé. D’autant que permettre cet accès peut être nécessaire, dans des cadres classiques comme pour les services postaux, ou plus urgents, dans des situations pouvant impliquer la protection des personnes et des biens. C’est précisément ce que la loi n°2021-1520 du 25 novembre 2021 est venue renforcer. Depuis lors, le premier alinéa de l’art. L.272-1 du Code de la sécurité intérieure dispose que, pour faciliter leurs interventions, les propriétaires d’immeubles à usage d’habitation doivent mettre en mesure sapeurs-pompiers ainsi que police et gendarmerie nationales d’accéder à ces lieux.

Cet article a pu apparaitre comme une nouvelle intrusion dans la vie privée. Aussi, pour garantir qu’un juste équilibre est maintenu entre l’intérêt général de protection de l’ordre public et des personnes, et des intérêts personnels, comme le droit de propriété, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à cette disposition.

III. – Analyse

Le requérant, M. Franck G., s’interroge sur la conformité de l’article avec le droit de propriété, et le droit au respect de la vie privée. Il allègue qu’il donnerait un droit d’accès permanent des forces de l’ordre aux parties communes d’immeubles à usage d’habitation, sans prendre en considération que ces lieux privés peuvent constituer une partie d’un domicile. Ce droit d’accès serait également inconditionnel, et pourrait s’exercer sans le consentement des propriétaires ni le contrôle d’un magistrat, y compris dans le cadre d’une enquête préliminaire. Enfin, il estime les dispositions en cause trop générales, la notion d’ « intervention » n’étant pas conditionnée, et rien n’explicitant comment les propriétaires doivent assurer cet accès aux parties communes. Sans plus de précisions, elles encourraient ainsi le grief constitutionnel d’incompétence négative.

Le Conseil constitutionnel débute en rappelant les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infraction, auxquels les dispositions contestées participent.

Par ailleurs, il précise que les « parties communes des immeubles à usage d’habitation » renvoient aux lieux utilisés par tout ou partie des copropriétaires de ces immeubles, dont l’art. 3 de la loi du 10 juillet 1965 fournit une liste. Ainsi, aucun accès n’est permis aux forces de l’ordre à des lieux qui pourraient constituer un domicile.

De plus, ces parties communes ne sont accessibles que dans le cadre d’une opération de police judiciaire, donc nécessairement sous le contrôle de proportionnalité d’un magistrat du parquet, ainsi que d’un juge du siège s’il est fait appel à des techniques spéciales d’enquête.

Surtout, le Conseil vient poser une réserve d’interprétation quant au terme « intervention » utilisé dans l’article : il ne s’agit en aucun cas d’une possibilité d’accès arbitraire aux parties communes, les forces de l’ordre ne pouvant pénétrer en ces lieux que dans l’exercice de leurs fonctions, pour la réalisation d’actes autorisés préalablement par la loi.

Dès lors, le Conseil conclut que les dispositions en cause sont, sous réserve, conformes à la Constitution. Elles ne méconnaissent ni le droit de propriété, ni le droit au respect de la vie privée, et ne sont pas entachées d’incompétence négative.

IV. – Portée

Par cette décision, le Conseil constitutionnel est venu préciser la nouvelle législation française visant à consolider la sécurité civile. La loi ayant apporté des nouveautés, et certains termes peu précis utilisés par le législateur ayant pu interroger, une clarification de la situation paraissait nécessaire.

Le Conseil a, ainsi, levé le doute sur les parties communes et la possibilité d’intervention des forces de l’ordre.

Les services de sécurité ont donc uniquement accès aux parties utilisées par tout ou partie des copropriétaires. Les Neuf Sages font ainsi taire les inquiétudes naissantes sur la possibilité pour les forces de l’ordre d’entrer dans des parties d’un domicile. L’interrogation du requérant était légitime, la Cour de cassation ayant jugé que les parties communes d’une copropriété constituent un lieu privé (Cass. crim. 27 mai 2009, n°09-82.115).

Surtout, ils ne disposent pas d’un droit d’intervention étendu. En principe, l’accès des forces de l’ordre à un lieu privé est soumis, en enquête préliminaire, à l’autorisation préalable de son occupant. Elles bénéficient désormais d’une autorisation permanente d’entrée dans les parties communes des immeubles. Mais cette autorisation ne vaut pas permission d’y entreprendre tout acte d’enquête. Des constatations visuelles pourront vraisemblablement être réalisées, y compris en enquête préliminaire, la Cour de cassation ayant jugé qu’elles ne sont pas assimilables à une perquisition, et sont ainsi possibles une fois l’accès aux lieux autorisé (Cass. crim. 23 octobre 2013, n°13-82.762). Les autres actes d’enquête restent conditionnés à l’aval et au contrôle d’un magistrat, qu’il s’agisse de réaliser un acte dans une partie commune, ou de la traverser pour réaliser un acte dans une partie privée. La non-coercition de l’enquête préliminaire n’est pas remise en cause, perquisitions ou saisies nécessitant toujours une autorisation supplémentaire (art. 76 du Code de procédure pénale).

Bien que nécessaire, la solution mérite de s’attarder sur le rôle que revêt ici le Conseil. En effet, il réfute l’argument de la généralité des dispositions, et écarte le risque d’un grief pour incompétence négative. Or, c’est justement par sa réserve d’interprétation qu’il vient purger l’article de son imprécision apparente. Il semble alors pallier l’incompétence négative du législateur, et, sous couvert d’interpréter, il complète la loi, ce qui n’est en principe pas son rôle.

En tout état de cause, à condition qu’il n’y ait pas d’abus, cette nouvelle règle devrait permettre une meilleure réactivité des forces de l’ordre pour garantir la jouissance paisible des immeubles.

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