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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et le Master Droit des libertés de l’UFR Droit de l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.

Illustration : Donald Sanger pour M Le Magazine du Monde

La validation constitutionnelle de la lettre du texte réprimant le ‘revenge porn’

par Margaux MALAPEL
Etudiante en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie

Affaire : Cons. Const., décision 2021-933 QPC du 30 septembre 2021, Saadia K

I. – Textes

II. – Contexte

En pleine ère du développement incontrôlé d’internet est apparu il y a quelques années le ‘revenge porn’ ou ‘revanche pornographique’. Cela consiste à publier en ligne un contenu de nature sexuelle concernant une personne qui n’a pas accepté la diffusion de celui-ci, dans le but de se venger d’elle, pour une quelconque raison.

C’est dans ce contexte qu’est intervenue la loi pour une République numérique n° 2016-1321 du 7 octobre 2016. Principalement axée sur la modernisation numérique, elle comporte aussi des dispositions pour la protection des données personnelles. C’est à ce titre qu’elle créé l’article 226-2-1 du code pénal. Celui-ci prévoit dans son second alinéa la pénalisation du « fait, en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même, à l’aide de l’un des actes prévus à l’article 226-1 ». Cette atteinte à la vie privée est punie de 2 ans d’emprisonnement et 60.000€ d’amende. C’est une peine plus lourde que celle prévue pour les atteintes à la vie privée simples, ce qui montre la gravité que le législateur prête à celles qui s’attaquent à la sexualité des personnes.

Ces dispositions font l’objet d’une contestation dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (ci-après QPC). La Cour de cassation (Cass. Crim. n° 21-80.682, 23 juin 2021) a transmis cette question au Conseil constitutionnel.

III. – Analyse

Plus précisément, la requérante considère que l’article précité méconnaît le principe de légalité et de nécessité des délits et des peines garanti par l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et par l’article 34 de la Constitution de 1958. Pour rappel, c’est le principe selon lequel une personne ne peut être condamnée à une peine pénale sans un texte incriminant son comportement et fixant la sanction, sachant que celles-ci, incriminations et peines, doivent être indispensables à la protection de l’ordre social. Il ressort de la combinaison de ces articles une obligation pour le législateur de formuler la loi pénale en des termes clairs et précis, ceci pour éviter l’arbitraire des juges (voir C.constit. n° 80-127 DC, 19-20 janv. 1981 (considérant 7 in fine)).

La demanderesse au pourvoi allègue que l’article sur le fondement duquel elle a été condamnée, notamment à six mois d’emprisonnement avec sursis, pour diffusion publique d’images ou de paroles à caractère sexuel sans le consentement de la personne, est imprécis et donc contraire aux prescriptions constitutionnelles précitées.

Elle avance pour cela que l’article 226-2-1 alinéa 2 du code pénal ne définit pas assez clairement ce qu’est une image ou parole à caractère sexuel, ni les circonstances dans lesquelles doit être apprécié le consentement à la captation et l’absence de consentement à la diffusion de celles-ci, ni les conditions de diffusion. L’imprécision de ces termes provoque une insécurité juridique. Elle reproche également au législateur de n’avoir pas prévu d’élément intentionnel particulier pour caractériser ce délit. Il y aurait donc carence de l’élément légal et carence de l’élément moral de l’infraction, alors que tous deux sont indispensables pour retenir qu’une infraction est constituée.

Elle attend de cette QPC que les Neuf Sages décident que cette disposition est inconstitutionnelle et doit être abrogée, faisant disparaître la base juridique de sa condamnation et lui permettant d’être relaxée. Cela a déjà été le cas pour le délit de harcèlement sexuel (C. constit. n° 2012-240 QPC, 4 mai 2012).

Cependant, le Conseil constitutionnel n’a pas adhéré à cette approche et a considéré que l’article litigieux était conforme à la Constitution.

Selon lui, les termes de l’article 226-2-1 alinéa 2 du code pénal sont assez précis pour ne pas risquer une application arbitraire de la loi de la part du juge, même si celui-ci est compétent pour dire si l’élément matériel correspond bien à l’élément légal et que cela lui laisse une marge d’appréciation. Il relève également que le législateur n’a pas eu l’intention de soumettre ce délit à un élément moral particulier. Cela n’était pas nécessaire car les délits sont par principe intentionnels, conformément à l’article 121-3 du code pénal, et que la loi n’a pas pour autant l’obligation de prévoir un dol spécial, tel par exemple l’intention de nuire. Il n’est donc pas possible de retenir une atteinte au principe de légalité et de nécessité des délits et des peines.

IV. – Portée

En considérant que la disposition pénale litigieuse n’était pas contraire à la Constitution, le Conseil approuve le législateur dans son objectif de ne pas restreindre cette incrimination. Les termes larges employés dans l’article attaqué permettent en effet de réprimer toute diffusion d’un document ou enregistrement comportant des éléments à caractère sexuel impliquant une personne qui n’y a pas consenti même en cas d’accord concernant la création de l’image ou la captation de la parole. Ainsi, cela garantit qu’aucune victime de revenge porn, ou d’une autre pratique correspondant à l’élément légal de l’infraction, ne soit oubliée, et donc non-protégée.

De plus, l’absence d’étroitesse de la lettre du texte permet l’évolution de cette incrimination au gré des progrès, par exemple ceux qui pourraient concerner les supports de diffusion (pour un exemple où l’interprétation stricte du texte aurait pu permettre à une personne d’échapper à la justice car les progrès techniques n’étaient pas pris en compte dans la lettre de la loi, voir l’arrêt Cass. Crim. n° 70-90.558, 14 janvier 1971).

Volontairement, il est laissé une part d’arbitraire au juge, mais il faut ici considérer le mot en dehors de son sens péjoratif. Le législateur, confirmé par le Conseil constitutionnel, a souhaité confier un pouvoir d’appréciation aux juges du fond, ce qui était nécessaire au vu des multiples possibilités auxquelles renvoi la diffusion et infinies formes que peut prendre la notion de ‘caractère sexuel’. Il est impossible d’en dresser une liste limitative, et si le pouvoir législatif l’avait tenté, il aurait donc nécessairement oublié des victimes.

Le revenge porn reste donc incriminé, ainsi que tout autre acte de diffusion de documents à caractère sexuel sans l’accord de la personne qui y figure même si cette dernière a consenti à la création de ces documents. Cette décision évite le retour au vide juridique qui régnait avant la loi insérant cette disposition. La Cour de cassation avait jugé que les textes préexistants ne permettaient pas la répression de tels faits, selon le principe d’interprétation stricte en vigueur en matière pénale. Elle avait cassé un arrêt d’une Cour d’appel qui avait utilisé les articles 226-1 et 226-2 du code pénal pour condamner ces agissements (Cass. Crim. n° 15-82.676, 16 mars 2016).

La différence tient à ce que dans ces textes, la personne dont l’image ou la parole est publiée ne consent pas à la captation desdits documents, ou ne consent ni à la captation ni à la diffusion de ceux-ci; alors que dans le texte examiné par les Neuf Sages, la personne consent à la fixation de son image ou de sa parole sur le support, et c’est seulement pour la diffusion que son consentement fait défaut. Il faut donc au vu des premiers articles, au moins un défaut de consentement à la captation. De façon évidente, ce n’est pas le cas quand la personne consent. Un nouvel article était donc indispensable pour pénaliser le revenge porn.

Cette décision, bien que nouvelle en ce que le Conseil ne s’était pas déjà prononcé sur la validité de cette disposition, apparaît logique car juridiquement valable et justifiée en ce qu’elle protège les victimes.

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