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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.

La Cour européenne des droits de l’Homme : un pas de plus vers le droit au suicide assisté

par Louis ANFRAY
Etudiant en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie

Affaire : Cour EDH, 4 octobre 2022, Mortier c. Belgique, 78017/17

I – Textes

II – Contexte

Alors que le débat sur le suicide assisté vient d’être relancé en France, la Belgique l’a quant à elle dépénalisé depuis la Loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie. Cette loi pose des conditions de fond pour qu’un médecin pratiquant cet acte ne soit pas poursuivi pour assassinat. Il faut que la personne ait consenti de manière volontaire, réfléchie, répétée et sans pression extérieure. Elle doit être dans une situation médicale sans issue et faire état d’une souffrance physique ou psychique. Des conditions procédurales doivent aussi être respectées comme l’obligation de voir deux médecins indépendants. Si la mort du patient n’intervient pas dans un bref délai : un troisième médecin doit être vu et un délai de deux mois devra s’écouler entre la décision écrite et l’euthanasie. Enfin, une Commission fédérale sera chargée de vérifier d’office, a posteriori, si le suicide assisté a été pratiqué conformément à la loi.

Cette législation belge s’inscrit dans un contexte européen controversé. Seuls quelques Etats européens ont dépénalisé le suicide assisté, comme les Pays-Bas ou plus récemment l’Espagne. Par ailleurs, aucun texte ne le réglemente tant sur le plan européen qu’international. En revanche, l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme (Convention EDH), protégeant le droit à la vie, trouve à s’appliquer. La Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH) a donc fait appel à sa propre jurisprudence sur la fin de vie.

Deux positions essentielles de la Cour EDH sont récurrentes sur ce domaine. Depuis un arrêt de 2011 (Cour EDH, 20 juin 2011, Haas c. Suisse, n° 31322/07, §55), elle constate qu’aucun consensus européen n’existe concernant la fin de vie, ainsi elle laisse aux Etats une large marge d’appréciation. Aussi, constamment depuis un arrêt de 2002 (Cour EDH, 26 avril 2002, Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, §40), la Cour EDH se refuse à déduire de l’article 2 de la Convention EDH un droit à mourir.

Une précision importante reste à apporter, l’utilisation du terme euthanasie par la Cour EDH est maladroit., celui-ci correspond à la mise à mort sans consentement. Evoquer le suicide assisté est alors plus cohérent.

III – Analyse

Souffrant de dépression chronique depuis une quarantaine d’années, la mère du requérant souhaite mettre fin à ses jours. Aucun traitement ne semble efficace. Après avoir été suivie par un médecin traitant et avoir vu deux psychologues, il est mis fin à sa vie le 19 avril 2012. Tout au long de la procédure, la mère du requérant a seulement envoyé une lettre à ses enfants.

Le requérant argue devant la Cour EDH la violation par la Belgique des obligations positives et procédurales découlant de l’article 2 de la convention EDH et la violation de l’article 8 de ce même texte. Selon lui, la loi relative à l’euthanasie n’apporte des garanties qu’illusoires puisqu’elles n’auraient pas été respectées en l’espèce. Par ailleurs, l’obligation d’enquête découlant de l’article 2 n’aurait pas été respectée, notamment, la composition de la Commission ne permettrait pas de garantir son impartialité ; le président de la Commission étant le médecin traitant de la mère du requérant. Le requérant évoque une atteinte au droit à la vie privée et familiale du fait qu’il n’a pas participé à la procédure.

Le gouvernement soutient que, même si de l’article 2 ne découle pas un droit à mourir, les Etats peuvent légaliser le suicide assisté si celui-ci est assorti de garanties suffisantes. Au regard de l’article 8, le gouvernement allègue que la loi relative à l’euthanasie permet, au contraire, une protection supplémentaire à l’autonomie personnelle.

Dans un premier temps, la Cour EDH choisit de ne pas discuter sur l’existence d’un droit au suicide assisté. Elle étudie en effet, pour la première fois, si un suicide assisté qui a été pratiqué est compatible avec la convention EDH. Pour se faire, en application de sa jurisprudence antérieure (Cour EDH, Boso c. Italie, n° 50490/99, 5 septembre 2002) elle considère qu’il découle des obligations positives à l’égard des Etats de protéger la vie. Cependant, la Cour EDH rappelle que cette obligation doit être conciliée avec l’article 8 qui protège l’autonomie personnelle et la dignité de la personne humaine (Cour EDH, 15 juin 2015, Lambert et autres c. France, n° 46043/14, §142). Ainsi, la Cour EDH, en rappelant qu’un droit à mourir ne découle pas de l’article 2, établit que la dépénalisation du suicide assisté est compatible avec la Convention EDH s’il est encadré « par la mise en place de garanties adéquates et suffisantes visant à éviter les abus » (§139). En appliquant ces principes à l’espèce, la Cour EDH déclare alors la loi belge conforme à la convention EDH.

Dans un second temps, au regard des obligations procédurales, la Cour EDH établit une violation. Elle rappelle les critères d’une enquête effective qu’elle a elle-même dégagée (Cour EDH, 25 juin 2019, Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie, n° 41720/13). La Cour EDH constate que la composition de la Commission ne permet pas un gage d’impartialité ; un membre de la Commission pouvant effectivement se prononcer sur un suicide assisté qu’il a lui-même pratiqué.

Concernant la violation de l’article 8, la Cour EDH considère que la législation belge, qui exclut la famille du processus, ne viole pas la convention. En effet, la loi prévoit uniquement une obligation pour le médecin de s’entretenir avec les proches du patient, après le consentement de ce dernier. La Cour EDH, après une mise en balance entre l’autonomie personnelle et la vie familiale, établit que cette obligation est suffisante.

IV – Portée

En concluant à une non-violation partielle de l’article 2, la Cour EDH fait une avancée majeure pour le droit au suicide assisté. Certains Etats européens pourront donc envisager de le dépénaliser. Par ailleurs, la Cour EDH nous présente un réel mode d’emploi à utiliser. Pour se faire elle précise notamment que les garanties nécessaires doivent être renforcées face à une personne souffrant de troubles psychiques et lorsque le décès n’arrive pas à court terme (§138). Aussi, à plusieurs reprises, elle insiste sur le choix belge de ne faire qu’un contrôle a posteriori : le contrôle des garanties doit être plus rigoureux (§145, §171). Elle laisse donc entendre qu’un contrôle a priori serait préférable. La juge Elósegui fait d’ailleurs remarquer dans son opinion partiellement dissidente cette spécificité belge. Un contrôle a priori serait plus protecteur et permettrait une meilleure effectivité des garanties. A quoi bon constater une irrégularité une fois la mort donnée ?

Malgré tout, cette décision soulève de nombreuses interrogations. Les circonstances de l’espèce étant très particulières ; une relation mère-fils plus que compliquée, la Cour EDH considère que l’avis de la famille n’est pas nécessaire dans la procédure du suicide assisté. Cependant, comment négliger la présence d’un fils dans un tel procédé ? Effectivement, la juge Elósegui explique que l’exclusion du rôle de la famille dans ces cas peut sérieusement être remise en question (§25 à §28 de l’opinion partiellement dissidente de la juge Elósegui).

Ces questions, certes toutes justifiées, ne doivent pas faire oublier l’impérieuse nécessité de reconnaître un droit à mourir dans la dignité. La Cour EDH évoque le droit à l’autonomie personnelle, pour autant elle limite la portée de celui-ci. Il semble pourtant que le consentement de la personne soit la seule limite à l’autonomie de personnelle (Cour EDH, 17 février 2005, K.A. et A.D c. Belgique, n°42758/98 et 45558/99). Mutatis mutandis, ce raisonnement pourrait appuyer la reconnaissance d’un droit à mourir dans la dignité.

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