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justice pénale des mineurs

Justice pénale des mineurs : l’élaboration du recueil de renseignements socio-éducatif implique le droit de se taire mais pas le droit à l’assistance d’un avocat

par Amélie VINCENT OLIVIER
Etudiante en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie

Affaire : Crim. 10 novembre 2021, 20-84.861

I. – Textes

II. – Contexte

L’article 12 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 prévoit que lorsqu’un mineur est poursuivi est établi un recueil de renseignements socio-éducatif (ci-après « RRSE »), permettant de cerner sa personnalité et son contexte de vie. Ce recueil est établi par un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse (ci-après « PJJ »). Son rôle n’est alors pas d’enquêter sur les faits ni de rechercher des preuves de la culpabilité du mineur. Les éducateurs étaient, jusqu’en 2009, libres de poser toute question qu’ils jugeaient utile afin d’établir le RRSE. Cependant, une note de la PJJ leur a ensuite imposé une trame de questions à suivre, les amenant à parler des faits de l’affaire pour laquelle le mineur est poursuivi.

Le conseil Constitutionnel (C.Constit., 9 avril 2021, déc. n° 2021-894 QPC) a eu à répondre à la question de savoir si cet article 12 était conforme à la Constitution. L’article  fut censuré au motif qu’aucun texte ne prévoit la notification au mineur du droit de se taire, ce qui est  contraire à la Constitution au regard des droits de la défense. Le fait que les droits ne soient pas notifiés pouvait s’expliquer par l’aspect éducatif de cette procédure qui ne vise pas à rechercher les preuves de la commission ou non du délit, mais qui tend à, synthétiquement, établir la personnalité, l’environnement, éducatif et familial du mineur dans le but de proposer une réponse éducative adéquate à sa situation. La proposition éducative sera ensuite étudiée par le magistrat, tout cela dans l’intérêt du mineur. Le recueil est donc une aide, qui se doit d’être impartiale, à la prise de décision pour le magistrat. Mais les éducateurs suivent une trame précise et unique, qui les invite à parler des faits de l’affaire. Or, dès que l’on parle des faits, les droits de la défense entrent en jeu afin de protéger la personne entendue. Il faut alors lui notifier son droit de garder le silence découlant de la présomption d’innocence garantie par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’autant plus que les déclarations du mineur pourront être consignées dans le rapport.

Cependant, la QPC revendiquait aussi le droit à l’assistance d’un avocat mais le Conseil va éluder cet élément, ne considérant ainsi pas que l’absence de conseil lors de l’élaboration du RRSE est contraire à la Constitution.

L’affaire commentée est une parfaite illustration de cette décision puisque la QPC a été rendue dans le cadre de cette affaire.

III. – Analyse

L’affaire du 10 novembre 2021 concerne un mineur poursuivi pour vol aggravé. Avant sa mise en examen, un RRSE est dressé avec lui. L’entretien qui a lieu dans ce cadre est cependant élaboré alors que son droit de garder le silence ne lui a pas été notifié, que l’avocat du mineur n’était pas présent et n’a même pas été prévenu de l’élaboration de ce recueil. Une requête en annulation de la procédure est formée, mais elle est rejetée par la chambre de l’instruction.

Selon la chambre de l’instruction, ce rapport ne vise qu’à formuler une proposition éducative dans l’intérêt du mineur. Elle considère que l’éducateur établissant le recueil doit nécessairement avoir accès à un minimum de faits. Pour les demandeurs, la Cour d’appel aurait de ce fait violé les droits de la défense en ne respectant pas le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice pour mineur (C.Constit 29 août 2002 DC), l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article préliminaire du code de procédure pénale ainsi que l’article 12 de l’ordonnance n° 45-174.

Un pourvoi en cassation est formé. Il fait valoir que le mineur ne peut être entendu, dans le cadre du RRSE, sur des faits sans avoir été au préalable informé de ses droits, des faits qui lui sont reprochés et sans l’assistance effective d’un avocat, sans quoi, le RRSE encourt l’annulation du fait de la violation des droits de la défense. La question qui se pose est donc de savoir si le RRSE implique la notification du droit de se taire et de l’assistance d’un avocat.

La Cour de Cassation se réfère à la décision du Conseil Constitutionnel précitée. Elle précise d’abord qu’en effet, toute personne poursuivie doit être informée de ses droits avant d’être interrogée sur les faits. La sanction du non-respect de cette règle est la nullité de tout ou partie des actes et pièces de la procédure.

La Cour se prononce ensuite sur le droit à l’assistance d’un avocat. Elle estime que la chambre de l’instruction n’a pas violé les droits de la défense en ce que l’avocat n’était pas présent lors du RRSE, ni même en n’ayant pas appelé l’avocat du mineur puisque le RRSE ne vise pas à recueillir des éléments de preuve sur l’affaire.

Elle s’attache enfin au droit de se taire. Ici, la Cour d’appel a violé les droits de la défense en validant le RRSE alors que le droit de se taire n’a pas été notifié au mineur et que les questions de l’éducateur portaient sur les faits de l’affaire et s’éloignaient donc du cadre de questions portant strictement sur l’environnement du mineur. La chambre de l’instruction aurait dû prononcer l’annulation partielle du RRSE en cancellant  les passages relatifs aux déclarations et aux réponses faites par le mineur aux questions portant sur les faits.

La Cour note tout de même que la décision du Conseil Constitutionnel du 9 avril 2021 change légèrement la procédure à suivre : depuis le 30 septembre 2021, il faut tenir compte de la censure du Conseil. Au législateur de combler la lacune et à défaut, à l’éducateur établissant le RRSE de le faire.

IV. Portée

Tout d’abord, notons que la Cour de Cassation opère ici un contrôle de conventionnalité de l’article 12 au regard de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, après que le Conseil Constitutionnel a lui opéré à un contrôle de Constitutionnalité au regard de l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. On pouvait s’attendre à ce que les positions du Conseil et de la Cour soient similaires.

La décision de la Cour porte sur des faits antérieurs à l’entrée en vigueur du code de justice pénale des mineurs. Le nouveau code reprend le RRSE en son article L322-2. Cependant, il n’est toujours pas précisé que le mineur dispose du droit de garder le silence (pourtant motif de sanction de l’article 12 de l’ordonnance de 1945) et du droit d’être accompagné de son conseil. En rendant cette décision, après celle du Conseil constitutionnel et après l’entrée en vigueur du nouveau code, la Cour de Cassation s’est donc conformée à la décision de ce dernier, le code de justice pénale des mineurs ne l’ayant pas fait. Ce qui est plus étonnant dans cet arrêt est que la Cour de Cassation écarte l’assistance d’un avocat. Pourtant, elle aurait pu consacrer ce droit, ce qui permettrait de garantir les droits du mineur, de lui assurer une sécurité et de s’assurer de la neutralité que doit revêtir le RRSE. En effet, comment garantir le droit de se taire si une personne d’autorité comme le conseil n’est pas présent pour s’assurer de son effectivité ? D’autant plus que ce droit n’est, rappelons-le, toujours pas précisé dans le nouveau code. Enfin, cela permettrait de se rapprocher de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, notamment dans l’affaire Salduz contre Turquie, lie le droit de se taire à l’assistance d’un avocat dans le cadre de la garde à vue d’un mineur. Cependant, nous pouvons noter que dans sa décision QPC, le Conseil Constitutionnel écarte la question de l’assistance de l’avocat pendant le RRSE, problème pourtant soulevé par le requérant. Ainsi, la Cour de Cassation s’est strictement conformée à la décision du Conseil Constitutionnel du 9 avril 2021.

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