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Affaire : Cour de Cassation, chambre criminelle 9 octobre 2024 n°24-85.030

I- Textes

Code de procédure pénale, art. 380-1 à 380-15

Code de procédure pénale, art. préliminaire

Convention européenne des droits de l’Homme, art. 6, § 1

II- Contexte

Le droit à un procès équitable est garanti par l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’Homme (ci-après Conv. EDH), et par l’article préliminaire du Code de procédure pénale (ci-après CPP). Il présente diverses facettes, plusieurs d’entre elles étant en jeu dans cette affaire. Tout d’abord, l’égalité des armes, principe dégagé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après CEDH), selon lequel chaque partie à un procès doit disposer d’une opportunité raisonnable d’exposer sa cause sans être désavantagée par rapport à l’autre partie (CEDH, Voisine c. France, n°27362/95et CEDH, 15 février 2005, Philippe Pause c. France, n°58742/00). Ensuite, le droit d’accès à un tribunal, qui, bien qu’essentiel, n’est pas absolu et peut être soumis à certaines limitations (Cass. 2e civ, 17 nov. 2022 n° 21-16.185 § 18), compatibles avec le droit à un procès équitable si elles poursuivent un but légitime et maintiennent un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (CEDH, 15 févr. 2000, Garcia Manibardo c. Espagne, n°38695/97 et CEDH, 12 nov. 2002, Zvolsky et Zvolskà c. République tchèque, n°46129/99). Ce droit d’accès à un tribunal est complété par le droit à un double degré de juridiction, garanti par l’article 2 du Protocole n°7 de la Conv. EDH ainsi que l’article préliminaire du CPP. Il permet à toute personne condamnée de faire réexaminer sa condamnation par une juridiction supérieure.

En droit interne, le double degré de juridiction se concrétise par la possibilité d’interjeter appel. En matière criminelle, le droit d’appel a été introduit au profit des condamnés par la loi du 15 juin 2000 relative à la présomption d’innocence, puis étendu au parquet général à l’égard des arrêts d’acquittement, par la loi du 4 mars 2002 (art. 380-2 CPP). Cette loi instaure une première « égalité des armes ». L’appel principal peut être formé par le condamné ou le Ministère public dans les dix jours suivant la décision contestée (art. 380-9 CPP). L’appel incident, quant à lui, permet aux autres parties de réagir à cet appel dans un délai supplémentaire de 5 jours (art. 380-10 CPP). La particularité de l’appel criminel, à la différence de ce qu’il en est en matière correctionnelle, est son effet dévolutif intégral. En effet, la cour d’assises d’appel réexamine l’affaire dans sa totalité, aussi bien sur la culpabilité que sur la peine, sans se limiter aux infractions contestées. Ainsi, l’arrêt de première instance est entièrement annulé, ce qui justifie qu’il ne puisse être restreint à une seule infraction. Toutefois, la loi du 23 mars 2019 a compliqué les choses en permettant au condamné de restreindre son appel à la seule question de la peine, sans contester sa culpabilité (art. 380-2-1 A CPP). Néanmoins, la loi ne précise pas la possibilité de restreindre l’appel à une infraction spécifique, soulevant des doutes quant à la recevabilité des appels partiels. En l’absence de dispositions claires, il apparaît que même un appel limité à certaines infractions reste recevable, obligeant la cour d’assises d’appel à réexaminer l’ensembles des infractions en cause.

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a examiné le 9 octobre 2024 la question de la recevabilité d’un appel principal partiel formé par le procureur général.

III- Analyse

Dans cette affaire, plusieurs accusés avaient été condamnés pour divers crimes (notamment tentative de vol en bande organisée avec armes, association de malfaiteurs), tout en bénéficiant d’acquittements partiels sur certains chefs, notamment pour des violences aggravées. Les accusés et le procureur général ont limité leur appel à certaines infractions. Les appels principaux des accusés et l’appel incident du parquet ne soulèvent pas de difficultés. Toutefois, le procureur général a également formé un appel principal contre l’acquittement partiel pour violences aggravées d’un des accusés. L’enjeu principal de cette affaire est de savoir si cette limitation de l’appel le rend irrecevable, ou s’il doit être étendu à l’ensemble des infractions et des peines prononcées.

La Cour de cassation commence par rappeler sa jurisprudence récente relative à la limitation de l’appel formé par l’accusé (§2) (Crim, 18 oct. 2023, n°23-80.202, 23-80.206), dans laquelle elle avait jugé qu’un appel irrégulièrement limité par un accusé reste recevable, en raison de l’effet dévolutif. Puis elle décide d’étendre cette solution à l’appel partiel du Ministère public, en soulignant la nécessité d’unifier le régime des voies de recours pour garantir le droit à un procès équitable (§3), se fondant sur l’article 6, § 1, Conv. EDH. Elle précise que même si l’appel principal du procureur général est irrégulièrement limité à certaines infractions, il demeure recevable. De ce fait, il doit être considéré comme portant sur l’ensemble des dispositions de l’arrêt pénal concernant l’accusé visé par cette déclaration (§4).

IV- Portée

Cet arrêt du 9 octobre 2024 marque une évolution significative dans la jurisprudence de la Cour de cassation concernant la recevabilité de l’appel formé par le parquet général. Cette décision inédite accorde de nouveaux pouvoirs au parquet général en matière d’appel principal contre un acquittement partiel.

La portée de cette décision concerne exclusivement le parquet général. En appliquant à ce dernier la solution déjà retenue pour les appels limités formés par les condamnés (Crim, 18 oct. 2023, n°23-80.202, 23-80.206), la chambre criminelle unifie le régime des voies de recours. Cela permet à la cour d’assises d’appel, quel que soit l’appelant, d’examiner l’ensemble de l’affaire et toutes les infractions jugées en première instance, même en cas de limitation de l’appel. Ainsi, même si l’appel a été limité, il est recevable et la cour d’assises d’appel est saisie de l’ensemble des infractions reprochées au condamné.

Cette décision, favorable au Ministère public, est à rattacher au principe d’égalité des armes, tel que développé par la CEDH. Ce principe, exigence essentielle du procès équitable, est défini par la CEDH comme le fait que chaque partie doit avoir « la possibilité raisonnable d’exposer sa cause dans des conditions qui ne la désavantagent pas d’une manière appréciable par rapport à la partie adverse » (CEDH, 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, n°21/1997/805/1008 et 22/1997/806/1009 et CEDH, 18 octobre 2018, Thiam c. France, n° 80018/12).

Cependant, la Cour de cassation invoque seulement l’article 6, § 1, Conv. EDH, et il est surprenant qu’elle ne cite pas explicitement d’autres textes, en particulier l’article 13 Conv. EDH (droit au recours effectif) et l’article 2 du Protocole n°7 de la Conv. EDH (double degré de juridiction), tous deux plus pertinents compte tenu de l’affaire portant sur le droit d’appel. Cette omission peut toutefois être interprétée comme un choix tacite de lier la décision au principe d’égalité des armes, dégagé par la CEDH à partir de l’article 6, § 1, Conv. EDH.

Enfin, il est important de souligner que l’invocation de la Convention européenne, qui est faite habituellement en faveur des accusés, avantage cette fois le ministère public, qui occupe une position de force dans les procédures pénales. En tant qu’acteur central des poursuites, le parquet dispose déjà de pouvoirs significatifs en matière d’enquête et de voies de recours. L’arrêt du 9 octobre 2024 renforce ses pouvoirs en lui accordant, en matière d’appel criminel, les mêmes droits que ceux des accusés, renforçant ainsi l’équité de la procédure à son profit.

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