30/07/2025
Une quinzaine d’étudiants internationaux s’est réuni à Caen du 30 juin au 4 juillet pour participer à la 23e édition de l’Université de la paix sur le thème « Paix durable à l’épreuve de l’économie ».
Par Catherine-Amélie Chassin
Secrétaire général de l’Institut international des droits de l’Homme et de la paix
Maître de conférences en droit public, Université de Caen Normandie
Le 20 juin 2018, un amendement proposé à l’Assemblée nationale (finalement rejeté) proposait de modifier le Préambule de la Constitution française de 1958 en évoquant les droits humains. Le texte ne proclamerait plus l’attachement du Peuple français « aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 », mais aux droits humains. Le débat entre Droits de l’homme et Droits humains est sans doute davantage porteur de sens qu’on ne pourrait le croire. Il n’est pas un simple phénomène de mode. Les arguments de ce glissement sémantique ont pu être pensés. Dans un Communiqué paru en décembre 2018, le Haut Conseil à l’intégration et à l’égalité entre les femmes et les hommes dénonçait une « logique linguistique discriminatoire » dans l’expression Droits de l’homme. C’est pourtant un faux procès fait aux Droits de l’homme, qui vient fragiliser les droits au lieu de les renforcer. Il nous a paru important de faire le point pour comprendre l’essence de l’expression (I), en cerner le caractère non-discriminant (II) et souligner les risques de dérives liées à l’expression Droits humains (III).
Le premier argument est comparatif : d’autres langues ont choisi de parler de Human Rights, Derechos humanos, Menschenrechte, Diritti umani, et autres. Il pourra être aisément relevé que la traduction n’est pas parfaite : ainsi la notion anglo-saxonne de responsability ne correspond-elle pas à la notion française de responsabilité. En réalité, le choix d’une langue n’est jamais neutre : « Pour les linguistes, les mots et leurs traductions n’ont pas une équivalence exacte, puisque leur utilisation concrète provient d’une vision différente du monde » (1) . Faut-il le rappeler ? Les Québécois magasinent, là où les Français lèchent les vitrines. L’idée est certes la même ; le vocabulaire est pourtant autre. L’argument comparatif n’est donc guère pertinent.
Le second argument contre un glissement sémantique est celui de la logique : le droit est nécessairement humain, aucune autre espèce animale n’ayant jugé utile de se doter d’un système juridique, avec ses normes et ses juges. La notion de droit humain renvoie à son origine, laquelle ne peut qu’être humaine. Mais son objet peut être autre. Le droit fiscal est un droit humain. Les Droits de l’homme visent, eux, les droits fondamentaux de la personne humaine. Ils sont des droits humains, mais ils sont davantage que de simples droits façonnés par l’être humain : ils sont des droits protecteurs de l’humanité dans son ensemble.
Reste le point de savoir si l’expression Droits de l’homme ne serait pas discriminante.
(1) Jacobo Rios Rodriguez, « Les langues du droit international : risque ou avantage ? » in Société française de droit international, Droit international et diversité des cultures juridiques, éd. Pédone, Paris, 2008, pp. 209-220, p. 215.
Faut-il voir dans les Droits de l’homme une vision masculine, paternaliste et sexiste des droits ? Ce serait, là encore, aller vite en besogne.
L’expression Droits de l’homme a une origine latine, du terme homo, qui renvoie à ce que l’on qualifie en français souvent d’Homme avec une majuscule : l’homme en qualité d’être humain. Cet homme au sens homo est donc à distinguer du terme latin vir, défini comme « homme, opposé à femme, distinct de homo, être humain, homme en général » (2). Or nul ne propose de confondre les Droits de l’homme avec de putatifs et fort contestables droits virils. Là est la force de l’expression Droits de l’homme, précisément : elle vise l’ensemble de la communauté humaine, ces droits « pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion » selon la Charte des Nations Unies (art. 1er, § 3). Les Droits de l’homme consacrés à partir de la fin du XVIIIe ne sont sans doute pas conçus, à l’époque, comme visant l’égalité entre tous : la Déclaration d’indépendance américaine (1776) s’accommode du maintien de l’esclavage ; la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) n’envisage pas de laisser les femmes voter.
Ces Droits de l’homme ont cependant évolué. Ils ont été réinterprétés aux lendemains de la Seconde guerre mondiale – dans la continuité du principe de non-discrimination, présent dans la Charte des Nations Unies (1945) et rappelé par la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948). Les Droits de l’homme sont bien, désormais, les droits des êtres humains. Ce ne sont pas les droits du vir, ce qui induirait une limitation selon le sexe ; ce ne sont pas non plus les droits du civis, ce qui entraînerait une discrimination fondée sur la nationalité. Ce sont bien les droits de l’homo, de l’humanité dans sa globalité.
Quant à la critique selon laquelle les Droits de l’homme n’incluaient pas les femmes, portée notamment par le Haut Conseil à l’intégration en 2015, ce serait considérer que le monde est figé. Or les Droits de l’homme connaissent la doctrine dite du droit vivant, cette idée simple et de bon sens selon laquelle les droits doivent « être interprétés à la lumière des conditions de vie d’aujourd’hui », pour reprendre les mots de la Cour européenne des droits de l’homme (3). Les Droits de l’homme de 2020 ne sont ni ceux de 1789, ni ceux de 1945. Ce sont les droits de l’être humain, pris dans sa globalité ; les droits de « tous les êtres humains », pour reprendre l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Cette universalité des Droits de l’homme n’empêche pas la nécessité de devoir les adapter à certaines situations particulières – on peut songer ici à la nécessaire prise en considération du handicap (4), ou à la protection des femmes enceintes ou allaitantes (5). Un travailleur migrant est certes un travailleur, soumis comme tel à une certaine règlementation, et un migrant, soumis comme tel à une autre règlementation qui se conjuguera avec la première ; mais il reste avant tout un être humain, et bénéficie à ce titre des Droits de l’homme – en tout cas de ceux qui ne sont pas susceptibles d’aménagements par l’Etat territorial, comme le droit à la vie, la prohibition de la torture et des traitements inhumains et dégradants ou l’interdiction de l’esclavage, de la servitude et du travail forcé.
Refuser de parler de Droits de l’homme aboutit à prendre un risque, car c’est admettre l’idée que les Droits de l’homme ne seraient pas pour tous.
(2) Felix Gaffiot, Dictionnaire Latin Français, éd. Hachette, Paris, 1934, entrée « vir », 1° et 2°.
(3) L’expression est récurrente depuis l’affaire Cour EDH, 25 avril 1978, Tyrer c. Royaume-Uni, n. 5856/72, § 31.
(4) Voy. p.ex., Convention relative aux droits des personnes handicapées, New York, 13 décembre 2006.
(5) Voy. p.ex. OIT, Convention n. 183 sur la protection de la maternité, Genève, 30 mai 2000.
La préservation des Droits de l’homme est d’autant plus fondamentale que l’expression Droits humains est porteuse, non d’une avancée, mais bien d’un risque de perdition, voire de dérive sectaire. En Europe comme ailleurs il faut constater le retour d’un certain obscurantisme – religieux ou non – alimenté par le populisme politique. En ces temps de contestation, de remise en cause de certains fonctionnements démocratiques et, disons-le, de l’Etat de droit, fragiliser les Droits de l’homme par une querelle sémantique n’est sans doute pas la meilleure des initiatives – même si elle part d’une idée généreuse, celle de vouloir afficher une inclusion qui ne serait pas limpide pour tous.
Ce sont bien pourtant ces Droits de l’homme qui sont remis en cause par ces revendications qui, sous couvert de défense des droits des femmes, aboutissent à remettre en cause les droits et libertés de tous et chacun. Les exemples sont multiples ; nous évoquerons ici l’exemple des demandes visant à obtenir, dans les piscines publiques, des horaires réservés aux seules femmes. Les arguments en ce sens sont principalement de deux ordres : l’argument religieux, que nous écarterons, mais aussi et plus subtil est l’argument de tranquillité, certaines femmes souhaitant ainsi éviter le harcèlement et les regards lourds. De tels aménagements aboutissent alors à mettre un place un système discriminant selon le sexe – sans pour autant que les droits ne soient réellement protégés. Car la question est alors ouverte du sort des transsexuels et, plus encore, des personnes en voie de conversion sexuelle, qui peuvent se heurter à des refus d’entrée du fait d’une évolution inachevée. La même revendication pourrait se concevoir tout autant s’agissant des enfants ou des personnes handicapées qui, comme les femmes, peuvent subir le harcèlement et les regards lourds de certains usagers de la piscine. Où commence la protection, où commence la discrimination ? Faut-il aussi prévoir des horaires spécifiques pour les personnes de couleur, pour éviter les regards lourds du raciste de service ? Peut-on concevoir un régime ségrégationniste comme moyen de protection des droits et libertés ? Ce n’est assurément pas là l’objet des Droits de l’homme qui, bien au contraire, sont inclusifs et protecteurs de tous et chacun. Suggérer qu’ils seraient sexistes, c’est envisager que les Droits de l’homme s’accommodent de la ségrégation – raciale, sexuelle, religieuse, ou autre. C’est, nonobstant une intention certainement louable, alimenter les revendications sectorielles et ségrégationnistes.
Il nous semble qu’en lieu et place d’affaiblir les Droits de l’homme en contestant leur vocation universelle, il faut au contraire pointer leur inclusivité et leur généralité. Face à un enfant ou à une femme harcelés à la piscine, le réflexe doit être de le protéger. Mais cette protection ne saurait passer par son isolement, car cela conduirait dans les faits à exclure la victime de la société et, ce faisant, à la punir elle-même. Les Droits de l’homme consacrent cette idée, finalement très simple, selon laquelle le titulaire des droits doit être protégé par la société, et non exorcisé. La voie devrait plutôt être de sensibiliser plus encore les populations aux Droits de l’homme – ce à quoi contribue l’Institut international des droits de l’Homme et de la paix.
Le glissement sémantique, des Droits de l’homme vers les Droits humains, va en réalité bien au-delà d’une simple querelle politique ou doctrinale. Elle conduit subrepticement à une remise en cause de l’acquis. On peut regretter, sans doute à raison, que la langue française, à la différence du latin, ne soit pas plus claire dans sa distinction entre l’homme et l’Homme. Il n’est pas pour autant judicieux de jouer avec le feu et d’ouvrir aux extrémistes de tout poil un Boulevard dans la remise en cause des droits fondamentaux de la personne humaine.
Le Préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme (et non des droits humains) permet de comprendre l’importance de conserver les Droits de l’homme, lorsqu’il affirme : « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde »
Là est toute la conception des Droits de l’homme : des droits pour tous, fondés sur la dignité de tous les membres de la famille humaine. Ils sont ces « droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme » mentionnés dès 1789 par le Préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Ce sont ces Droits de l’homme, pour lesquels il faut continuer de se battre en lieu et place de les fragiliser.
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