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L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.

Affaire : Cour EDH, 5 décembre 2024, M.B c. France, n° 31913/21

I.  TEXTES

II.  CONTEXTE

Il est possible, en vertu de la loi du 3 avril 1955, de déclarer l’état d’urgence sur le territoire français. Ce régime d’exception permet de justifier de la restriction de certaines libertés au nom de circonstances exceptionnelles.

En France, la loi du 30 octobre 2017 met fin à l’état d’urgence sécuritaire lié à la menace terroriste pris en octobre 2015. Elle inscrit, temporairement, ces mesures d’urgence aux articles L228-1 et suivants du code de la sécurité intérieure (CSI) ; elles seront codifiées définitivement dans le droit commun avec la loi du 30 juillet 2021.

Par conséquent, eu égard aux articles L228-1 et suivants CSI, le ministre de l’Intérieur peut prescrire des mesures individuelles de contrôle administratif et de sécurité (MICAS), comme une assignation à résidence, dans le but de prévenir la commission d’actes terroristes. Toutefois, il faut qu’il y ait des raisons sérieuses de penser que le comportement de l’individu est une menace grave pour l’ordre public et qu’il entretient des relations régulières avec des personnes ou organisations à visée terroriste (art.L228-1 CSI).

Certes, la liberté de circulation est protégée par l’article 2 du Protocole n°4 à la Convention européenne des droits de l’Homme (art.2 P4 CEDH), mais elle peut se voir limiter si la restriction est prévue par la loi, nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but poursuivi.

Alors, se pose la question de savoir si les MICAS sont compatibles avec l’article 2 P4 CEDH ? Une réponse est apportée par la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH) dans l’arrêt d’espèce rendu contre la France ce 5 décembre 2024.

III.  ANALYSE

Dans cette affaire, un homme s’est vu interdire de quitter quatre départements de la région parisienne et imposer une obligation de pointage quotidienne dans un commissariat de police. Ces mesures, fondées sur la menace terroriste que représentait cet homme, ont été ordonnées pour une durée de trois mois par le ministre de l’Intérieur.

Ayant contesté la MICAS prise à son encontre devant les juridictions françaises et n’obtenant pas satisfaction, le requérant a saisi la Cour EDH alléguant que ladite mesure était contraire aux article 2 P4 et 8 CEDH et que les circonstances procédurales entourant l’espèce violaient les articles 6§1 et 13 CEDH. Il reproche le manque de clarté du CSI, en conséquence de quoi, la MICAS imposée est irrégulière et porte atteinte à sa liberté de circulation.

La Cour déclara notamment irrecevable le grief de l’article 6§1 CEDH pour non-épuisement préalable des voies de recours internes (art.35§1 CEDH). Elle retiendra les griefs allégués de la violation de l’article 2 P4 CEDH ; précisément, elle portera son raisonnement sur le paragraphe 3 car les restrictions légales ne sont pas limitées à une partie du territoire français (Cour EDH, 19 janv. 2023, Pagerie c. France, n° 24203/16 ; Cour EDH, 15 juin 2023, Fanouni c. France, n°31185/18). Par conséquent, l’ingérence à la liberté de circulation doit être prévue par la loi, avoir un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique.

Premièrement, la Cour a vérifié s’il existe une base légale à la restriction qui soit prévisible en ce qu’elle est précise et offre des garanties contre l’arbitraire (Cour EDH, [GC], 23 fév.2017, De Tommaso c. Italie, n°43395/09). Tout d’abord, le fondement de la mesure est considéré comme accessible étant prévu aux articles L.228-1 et -2 CSI. Ensuite, la base légale est précise car codifiée en droit interne, limitée à la lutte contre le terrorisme et prévoit les mesures à prendre (interdiction de quitter une zone géographique, obligation de pointage). S’ajoutent des conditions d’application cumulatives (art.L228-1 CSI) se fondant sur une appréciation in concreto de la gravité des comportements. Enfin, la Cour retient que la législation offre des garanties contre l’arbitraire puisque la MICAS est limitée dans le temps, avec des renouvellements possibles pour une durée maximale d’un an uniquement si la décision est basée sur des faits nouveaux. Alors, la décision du ministre de l’Intérieur est soumise au contrôle du juge, que ce dernier soit saisi d’un recours pour excès de pouvoir ou un référé liberté.

Deuxièmement, une ingérence à l’article 2 P4 CEDH doit revêtir un but légitime. Ici, la Cour EDH estime que la préservation de la sécurité et de l’ordre publics contre la menace terroriste répond à la condition précitée.

Troisièmement, l’ingérence doit être nécessaire dans une société démocratique. Pour la Cour, cette exigence est remplie tant au regard de la menace terroriste « encore prégnante en France à la date des faits » qu’au regard du profil de l’intéressé. Elle se base sur les faits relatés dans une note blanche des services de renseignement établissant que le requérant détenait des fichiers avec des images d’exécutions ou d’égorgement ; qu’il consultait fréquemment des sites de propagandes djihadistes ; qu’il était en lien avec des personnes radicalisées, etc.

En l’espèce, la Cour de Strasbourg dit qu’il n’y a pas eu de violation de la liberté de circulation. Elle rejette l’ensemble des arguments apportés par le requérant et suit la position du gouvernement français.

IV.  PORTÉE

Ce 5 décembre 2024, alors qu’une rapporteuse spéciale des Nations unies est « préoccupée » par la transposition dans le droit commun de ces pouvoirs exceptionnels (Visite en France, Rapport, A/HRC/40/52/Add.4), la solution est nouvelle en ce que la Cour vient valider ce régime pérennisé par sa codification dans le CSI avec la loi du 30 juillet 2021. Si dans les affaires de 2023 précitées, la Cour avait validé le régime des MICAS, les faits s’étaient déroulés lors de l’état d’urgence. Ici, les faits se sont déroulés post état d’urgence.

Ainsi, l’étendue des pouvoirs conférés au ministre de l’Intérieur est légitimée. Toutefois, la Cour EDH semble faire de la présomption d’urgence posée par le Conseil d’État, dans le cadre du référé-liberté, un garde-fou essentiel aux pouvoirs dudit ministre. Un tel recours est possible pour prendre une mesure que l’urgence commande lorsqu’il est porté atteinte à une liberté fondamentale (art. L521-2 CJA). Les justiciables voient leur accès au juge des référés facilité puisqu’une MICAS porte intrinsèquement atteinte à la liberté de circulation, considérée comme étant fondamentale, et que l’urgence est présumée (CE, Ord., 1er déc.2017, n°415740 ; CE, Ord., 14 janv.2019, n°426773).

Ici, le requérant conteste ne pas avoir été entendu publiquement par le juge des référés car les mesures prises à son encontre l’ont été lors d’un état d’urgence sanitaire, pris pour enrayer l’épidémie de Covid-19. De fait, l’article 3 de l’ordonnance du 18 novembre 2020 accroît, temporairement, les cas permettant au juge des référés de ne pas statuer en audience publique. La Cour a écarté ce grief pour non-épuisement préalable des voies de recours. Quid de la réponse de la Cour si le requérant s’était prévalu de cet argument devant le Conseil d’État avant de la saisir ? Elle aurait pu constater une atteinte au droit à un procès équitable pour cet individu se voyant appliquer un cumul de règles issues de deux états d’urgence.

Enfin, c’est à l’unanimité que la conventionnalité des mesures à la liberté de la circulation a été décidée. Tel était le cas dans les affaires Pagerie et Fanoui contre France précitées. Alors, la prévention contre le terrorisme, qualifiée de « besoin impérieux » par la Cour, a un but considéré unanimement plus légitime que la liberté précitée. Ces éléments démontrent l’importance que la Cour accorde à la lutte contre cette menace aux idéaux démocratiques.

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