03/07/2025
L’équipe de l’Institut international des droits de l’Homme et de la paix a sélectionné ses coups de cœurs du mois de juin à regarder, écouter et lire.
L’Institut international des droits de l’Homme et de la paix et l’Université de Caen Normandie s’associent pour une série de « Points de vue » exclusifs.
par Clara LECONTE
Etudiante en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie
Affaire : Crim, 10 novembre 2021, 21-81.925
L’article L.624-1-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ci-après « CESEDA »), dans sa rédaction applicable au moment des faits, dispose que « tout étranger qui se soustrait ou qui tente de se soustraire à l’exécution […] d’une obligation de quitter le territoire français est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement.» L’article précise que « cette peine est également applicable à l’étranger qui refuse de se soumettre aux modalités de transport, qui lui sont désignées pour l’exécution d’office de la mesure dont il fait l’objet.»
Cet article, confronté à la pandémie de Covid-19, a fait naître un nouveau contentieux auquel M.K a été confronté. Originaire de Guinée, M.K a été notifié d’une obligation de quitter le territoire français le 10 février 2020. Interpellé suite à un contrôle routier quelques mois plus tard, il est placé en centre de rétention administrative dans l’attente de l’exécution de sa mesure d’éloignement. Exigé par la compagnie aérienne « Air France » pour tout passager, au moment des faits, M.K est amené à effectuer un test PCR le 23 novembre 2020 en vue de son vol pour la Guinée prévu le 25 novembre 2020. L’intéressé refuse de quitter le centre de rétention pour se soumettre à cet acte médical.
Le tribunal correctionnel de Bayonne, par jugement du 24 novembre 2020, a condamné M.K à deux mois d’emprisonnement pour s’être affranchi de la mesure d’éloignement du territoire dont il faisait l’objet. Le 11 février 2021, la Cour d’appel de Pau a confirmé ce jugement en retenant que l’opposition de M.K à la réalisation d’un test PCR « n’a été que le moyen de s’opposer à la mesure [d’obligation de quitter le territoire français] ».
Considéré comme tel par les juges du fond, en pleine pandémie de Covid-19, le refus de se soumettre au test PCR exigé était-il constitutif du délit de soustraction à l’exécution de la mesure d’éloignement ?
Le 10 novembre 2021, la cour de cassation a répondu à cette interrogation par la négative.
La cour d’appel de Pau a retenu que l’élément matériel du délit de soustraction à l’exécution de la mesure était caractérisé en ce que le requérant avait manifesté à plusieurs reprises, sans ambiguïté, son opposition à regagner son pays d’origine. L’élément intentionnel, quant à lui, a trouvé justification en ce que l’intéressé avait connaissance du fait que le test PCR était nécessaire à sa prise en charge à bord du vol AF 724 vers Conakry en Guinée. La cour d’appel a conclu, compte tenu de la pandémie de Covid-19 et du fait que l’éloignement ne pouvait se faire que par voie aérienne, le refus d’effectuer un test de dépistage était constitutif d’une soustraction à l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière.
En se pourvoyant en cassation, le demandeur critique l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il assimile le refus d’effectuer le test PCR au refus d’embarquer, violant selon lui l’article L.624-1-1 du CESEDA dans sa version alors en vigueur.
Ainsi, il dénonce le fait que la cour d’appel n’ait pas tenu compte de son droit à consentir au test PCR, acte selon lui « intrusif et non nécessaire », pour rendre sa décision. En effet, le demandeur invoque les articles L.1111-4 du code de la santé publique et 16-3 du code civil, lesquels disposent que le consentement libre et éclairé de l’intéressé est requis pour tout acte médical. Il ajoute que l’immixtion de l’autorité publique dans ce droit doit être prévue par la loi et poursuivre un but nécessaire à la société démocratique (Convention européenne des droits de l’homme, article 8). De ce postulat, le requérant conclut que l’article L.624-1-1 du CESEDA ne prévoit pas cette ingérence pour le test PCR. Le juge d’appel, pourtant tenu d’interpréter strictement le texte pénal (article L.111-4 code pénal) a, selon le requérant, faussement interprété l’article précité, en allant outre la lettre du texte.
En raison de ce manque, alors que ladite cour d’appel avait elle-même constaté que le test rhinopharyngé nécessite le consentement de l’intéressé, le demandeur estime que la condamnation est une atteinte à ses droits fondamentaux (libre disposition de son corps et à consentir à tout acte médical, principe d’inviolabilité du corps humain de l’article 16-1 du code civil).
La cour de cassation, dans le présent arrêt du 10 novembre 2021, casse et annule l’arrêt de la cour d’appel de Pau pour violation de l’article L.624-1-1 du CESEDA.
Elle relève qu’aucun élément de la législation en vigueur au moment des faits ne prévoyait que le test de dépistage à la Covid-19 était indispensable à la réalisation de la mesure d’éloignement. La cour précise que le législateur, dans l’article susvisé, avait entendu sanctionner uniquement le refus d’un étranger de se soumettre à l’exécution de sa mesure d’éloignement. Les actes préparatoires tels que les tests de dépistage de la Covid-19 n’étaient pas envisagés. Ainsi, le refus de se soumettre à un test PCR n’était pas suffisant pour être caractérisé d’infraction au moment des faits.
Après avoir elle-même établi qu’elle ne possédait pas d’interprétation jurisprudentielle constante sur le point de savoir si le test PCR constituait une soustraction à l’exécution d’une mesure d’éloignement (Crim, 7 septembre 2021, n°21-90.023), la cour de cassation met présentement fin à la pratique des juridictions condamnant les requérants sur ce chef (CA Pau, 11 février 2021).
Bien qu’en publiant au bulletin le présent arrêt, cette jurisprudence de la cour de cassation est désormais à nuancer. En effet, dorénavant abrogé (ordonnance, 16.12.2020, n° 2020-1733), l’article L.624-1-1 CESEDA a été remplacé par l’article L.824-9 CESEDA, introduit par l’article 2 de la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire.
Ce nouvel article dénote la volonté du législateur de ne pas prendre la même direction que la cour de cassation. Il entend alors faire appliquer la peine de trois ans d’emprisonnement à tout « étranger, [ayant refusé] de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l’exécution d’office de la mesure dont il fait l’objet ».
Anticipant un contentieux, le conseil constitutionnel, saisi à priori de la promulgation de la loi, précise qu’est entendu par «obligations sanitaires», le test de dépistage à la Covid-19 (Décision n°2021-824 DC du 5 août 2021, considérant 95). En définitive, l’étranger est désormais sommé de choisir entre se soumettre au test et participer activement à son éloignement, ou risquer des poursuites pénales pour l’avoir refusé.
À l’occasion de cette décision, alors que la cour de cassation dans le présent arrêt n’a pas souhaité statuer sur l’articulation de l’obligation d’un test PCR et les droits fondamentaux relatifs à l’intégrité physique, le conseil constitutionnel quant à lui a éclairci ce point. Il considère ainsi que « l’obligation de se soumettre à un test de dépistage de la Covid-19 […] n’est pas attentatoire à l’intégrité physique et à la dignité des personnes. » (Décision n°2021-824 DC du 5 août 2021, considérant 97).
Cette précision ne permet pas de balayer le flou juridique concernant l’obligation d’effectuer un test PCR (désormais intégrée dans la loi) pour l’étranger et le consentement libre et éclairé pour tout acte médical de l’article L.1111-4 du code de la santé publique. La contrainte pour l’étranger d’effectuer ce dépistage de la Covid-19, afin de ne pas être pénalement poursuivi, réduit le caractère « libre et eclairé » du consentement à néant. La cour de cassation aura probablement à effectuer un contrôle de conventionalité de la loi, imposant le test de dépistage à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’Homme, en justifiant (ou non) cette ingérence dans les droits de la personne par la protection de la santé. La cour de Strasbourg laisse une large marge d’appréciation aux États en exigeant une “législation pertinente [dont l’objectif est la] protection contre des maladies susceptibles de faire peser un risque grave sur la santé.” (Cour EDH, 8 avril 2021, Vavřička et autres c. République tchèque, n°47621/13, §272). Compte tenu de l’ampleur de la pandémie de Covid-19, l’inconventionnalité de ladite loi ne devrait pas être prononcée.
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