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par Barbara TRENKMANN
Etudiante en Master Droit des libertés de l’UFR Droit
de l’Université de Caen Normandie
Affaire : Cour de cassation, 24 février 2021, pourvoi n°20-86.537
La présomption d’innocence est protégée, notamment, par le droit de ne pas s’auto-incriminer, dont l’une des facettes est le droit de se taire, mis en lumière par la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après CEDH) dans l’arrêt John Murray contre Royaume-Uni du 8 fév. 1996 n°18731/91 en vertu de l’article 6 Conv. EDH.
Ce droit doit être notifié à la personne mise en cause lorsqu’elle est amenée à être entendue, faire des déclarations ou répondre à des questions. Cela a d’abord concerné la garde-à-vue, la mise en examen puis l’audition libre d’un suspect, le défèrement devant le procureur de la République. La Loi n°2014-535 du 27 mai 2014, transposant la Directive 2012/13/UE du 22 mai 2012, qui impose l’information du droit de se taire, l’a ensuite généralisé à toutes les audiences de jugements.
L’affaire en cause achoppe sur ce point. M.X. mis en examen et placé en détention provisoire, a vu sa demande de mise en liberté rejetée par le juge des libertés et de la détention. En appel, il a été entendu par la Chambre de l’instruction (ci-après Ch. Instruction) sans être informé de son droit de se taire. La Ch. Instruction a confirmé l’ordonnance de rejet.
M.X. forme un pourvoi en cassation demandant l’annulation de l’arrêt de la Ch. Instruction en raison de l’absence de cette notification. À cette occasion, il pose une question prioritaire de constitutionnalité (ci-après QPC) sur la conformité de l’article 199 du CPP aux droits et libertés constitutionnellement garantis dont les articles 9 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen et 34 de la Constitution en ce qu’il ne prévoit pas la notification du droit de se taire devant la Ch. Instruction.
Dans la deuxième branche de son moyen, M. X., expose que l’absence de notification de son droit de se taire lors de l’audience devant la Ch. Instruction lui fait nécessairement grief et qu’il y a violation des articles 199 du CPP et 6 de la Conv. EDH.
Se pose donc la question de savoir si la personne mise en cause doit être informée du droit de se taire devant la Ch. Instruction statuant sur la détention provisoire mais aussi des incidences de l’absence d’une telle information.
Sur la première branche du moyen, la Cour décide de ne pas transmettre la QPC posée, en application de l’article R.49-33 du CPP. En effet, une QPC relative à l’article 199 CPP a déjà été transmise par un arrêt du 9 fév. 2021 (n°20-86-533) pour le même motif et cette dernière n’a pas encore été tranchée. L’article 23 alinéa 4 de l’ordonnance de 1958 impose à la Cour de cassation de surseoir à statuer dans ce cas, néanmoins ce principe connaît des exceptions en particulier lorsque l’intéressé est privé de liberté et qu’elle doit statuer dans un délai déterminé, ce qui est le cas en l’espèce. la Cour doit donc rendre sa décision sans surseoir à statuer. En outre, l’arrêt rappelle que l’intéressé pourra introduire une nouvelle instance pour qu’il puisse être tenu compte de la décision à venir du Conseil constitutionnel.
Sur la deuxième branche du moyen, la Cour tire les conséquences procédurales de l’arrêt du 27 janv. 2021 (n°20-85.990). Dans cet arrêt, elle a considère que la Ch. Instruction doit contrôler toutes les conditions de la détention provisoire (article 80-1 du CPP), elle doit donc apprécier s’il existe des indices de participation de la personne à l’infraction. L’intéressé peut alors être amené à faire des déclarations pouvant être prises en compte par les juridictions appelées à prononcer un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité. La Cour en déduit en conséquence que le droit de se taire doit être notifié lors de l’audience devant la Ch. Instruction (§16).
Néanmoins, la Cour estime qu’il faut distinguer entre le contentieux des mesures de sûreté et celui portant sur le bien-fondé de la mise en examen. Le premier amène à examiner si la détention constitue « l’unique moyen de parvenir à un ou plusieurs des objectifs » de l’article 144 du CPP, le second porte sur l’existence d’ « indices graves ou concordants rendant vraisemblable [que la personne] ait pu participer (…) à la commission de l’infraction » (§13).
Compte tenu de cette distinction, la Cour nuance la portée du défaut de notification du droit de se taire dans le cadre du contentieux de la détention provisoire : il n’affecte pas la régularité de la décision rendue en matière de mesure de sûreté (§18), qui ne peut donc être annulée pour ce motif. En revanche, en l’absence d’une telle information, les déclarations de l’intéressé ne pourront pas être utilisées à son encontre par les juridictions appelées à prononcer un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité (§19). Le pourvoi est donc rejeté.
Si c’est à bon droit que la Cour ne transfère pas la QPC et ne sursoit pas à statuer, la liberté du requérant étant en jeu, elle semble aussi anticiper une décision d’inconstitutionnalité. En effet, dans cette décision, elle opère un revirement de jurisprudence (Cass. Crim., 7 août 2019 n°19-83.508) en ce qu’elle impose la notification du droit de se taire lors des audiences de la Ch. Instruction en matière de détention provisoire.
La notification du droit de se taire est consacrée par la CEDH qui considère qu’il a « pour finalité (…) d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention » (V. en ce sens Navone et autres contre Monaco du 24 oct. 2013 n°62880/11, 62892/11 et 62899/11 §71) mais aussi par le droit de l’Union Européenne dont la Directive 2012/13/UE relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales a été transposée par la Loi du 27 mai 2014 précitée. Toutefois, cette dernière est incomplète puisque n’est pas prévue la notification du droit de se taire lors des audiences devant la Ch. Instruction en matière de détention provisoire. L’arrêt commenté comble cette lacune, en attendant la décision du Conseil constitutionnel, en imposant la notification de ce droit. Elle anticipe donc une décision d’inconstitutionnalité de l’article 199 du CPP.
Dans cette affaire, la Cour s’inspire notamment de sa jurisprudence relative aux audiences de jugement qui censure les audiences tenues sans notification du droit de se taire (V. en ce sens Cass. crim 8 juil. 2012, n°14-85.699).
En revanche, si le pourvoi soutenait que le défaut de notification du droit de se taire cause nécessairement un grief à l’intéressé et qu’ainsi la décision relative à la mesure de sûreté devait être annulée, la Cour estime que cette omission n’entache pas en soi d’irrégularité la décision rendue sur la mesure de sûreté. La Cour estime seulement que dans ce cas, les déclarations faites durant cette audience ne pourront pas être prises en compte pour renvoyer en jugement ou statuer au fond. Ceci atténue la portée de la consécration de la notification du droit de se taire.
La Cour scinde la portée du défaut de notification du droit de se taire entre les deux types de contentieux, bien qu’il s’agisse de la même personne et de faits identiques. Ce défaut n’a pas de portée sur la mesure de sûreté (en l’espèce la détention provisoire), qui ne peut être annulée au motif que le droit de se taire n’a pas été notifiée, mais il en a une sur la motivation de la décision de culpabilité, puisque la juridiction de jugement ne pourra pas utiliser les déclarations faites par le mis en examen lors de l’audience de la Ch. Instruction si le droit de se taire ne lui a pas été notifié.
La question se pose sur la conformité de la décision avec la présomption d’innocence, dont le respect est notamment garanti par la notification du droit de se taire. La décision du Conseil constitutionnel sur la QPC est donc attendue.
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